IL ETAIT UN ASFOY...

Chapitre 1 : LE DECLIC

Nous sommes en 1970, je viens d’être affecté à la base sous-marine de Toulon, après une année passée à l’Ecole des Apprentis Mécaniciens et six mois à l’Ecole d’Armes sur le Jean Bart. Mon premier contact réel avec les Foyers a lieu dès le premier soir de mon arrivée, les copains m’invitent à prendre un pot après le dégagé.

Nous accédons au Foyer Nautilus, par un escalier externe, dominant la darse où sont amarrés les bateaux noirs. La salle est carrelée de damiers noirs et blancs ; vous verrez plus tard l’importance de ce carrelage. A droite, en entrant, il y a la bimbeloterie, tenue de main de maître par Madame Valet Evelyne - ah ! Evelyne, tu es notre petite évasion des tourments de la vie sur la base ; nous n’achetons jamais plus d’un article à la fois, de façon à avoir de nouveau l’occasion de discuter quelques minutes avec toi - puis le comptoir du bar équipage, tenu par un appelé et un « chouf » (ndlr : quartier-maître chef).

« Building », un de mes premiers collègues, commande une caisse de bières. Le barman s’exécute et dépose le casier en plastique rouge avec ses 24 « kro ».

Dans un angle, face au comptoir, il y a le bureau du directeur, un homme rondouillard, toujours souriant, les lunettes à cheval sur le haut de son front qui commence à se dégarnir.

- Pierrot, je te présente : Monsieur Philippi, directeur de son état et ami de surcroît !
- Phil, Pierrot, un normand nouvellement affecté, nous venons fêter son embarquement !

Poignée de main et nous prenons un pot tous ensemble.

Si on faisait une partie de dames ? D’accord, répondent en chœur mes collègues assis autour de deux des six tables de la salle du bar.

« Tugudu » commande deux autres caisses et nous disposons les bouteilles pleines sur les carreaux du sol. Certaines bouteilles conservent leurs étiquettes, on les arrache sur les autres et la partie peut commencer. La règle est simple, chaque bouteille gagnée doit être bue, et l’équipe gagnante boit les pions restants à l’adversaire, il est difficile d’en gagner plus de deux parties, à moins d’avoir un grande capacité de stockage.

 

Je bosse avec un grand escogriffe, prénommé « Jimmy », il a tout du « Grand Duduche » : de grandes lunettes, les cheveux blonds, longs, pour un militaire, mais pas pour un sous-marinier. Nous sommes affectés au local mécanismes, un aquarium climatisé, au linoléum ciré. Les patins sont obligatoires, dès que vous avez franchi le sas anti-poussière.

A 16 h 30, Jimmy m’entraîne vers le Foyer. Après avoir salué Phil, nous descendons vers un local du rez-de-chaussée dont la porte arbore, pompeusement une plaque : « salle de musique ».

Jimmy entre le premier, je lui emboîte le pas. Deux gars sont déjà là. L’un est derrière une batterie, l’autre est en train d’accorder une guitare. Les présentations faites, Jimmy me dit qu’avec deux ou trois copains, ils sont en train de monter un orchestre et un spectacle comique à base de sketches et d’imitations.

Ils doivent se réunir le soir même après souper. Je décide de venir voir de quoi il retourne et, le soir, je viens à la répétition. L’orchestre est composé de quatre musiciens, deux guitaristes, un batteur et un organiste. Il y a aussi deux gars qui interprètent des sketches : des Frères Ennemis, de Jean Yann, Bedos et quelques autres. Pour ma part, je suis un peu imitateur.

J’ai à mon répertoire le métro parisien, la mobylette, la 4 CV, la tronçonneuse, Bourvil, Fernandel, Yves Montand, Mouloudji, Adamo, Hugues Aufray et quelques autres.

Après une rapide audition, ils décident de m’intégrer à leur troupe. Philippi assure la partie financière et la logistique, nous avons un ou deux électriciens qui s’occupent de la technique et un public fidèle et acquis à notre cause, qui nous suit de Foyer en Foyer, quelle que soit la qualité de la prestation. Mais, elle est généralement de bonne qualité.

 

Au Vème Dépôt, il y a l’Ecole des Assistants de Foyer, dirigée par Madame Verne. Nous la rencontrons pour préparer le spectacle de fin de cours de la promotion qui termine sa formation à la fin du mois.

Pour mes amis, qui en sont à leur troisième ou quatrième prestation, leur spectacle est déjà bien rodé. Quant à moi, pour mes débuts, j’ai préparé un pot pourri d’histoires paysannes normandes et une ou deux imitations. La vedette revenant aux élèves ASFOY, dont je ne me souviens pas exactement de la teneur de la partie du spectacle qui leur était consacrée.

Ce qui est sûr, c’est que le succès que nous avons remporté, dans l’ensemble, est surtout du à l’orchestre et aux sketches des Frères Ennemis et de Jean Yann.

Ce que j’ignorais, c’est que ce premier spectacle dans la Marine, cette nouvelle montée sur les planches, (j’ai commencé à 4 ans, à la maternelle, j’y tenais le premier rôle), allait être déterminant pour le reste de ma carrière.

Madame Verne, que nous appelions affectueusement : « Mémée », à son insu, s’intéressait de prés à la qualité de la prestation de chacun, et, durant les pots qui suivaient chacun des spectacles, elle n’avait de cesse que de tenter de nous enrôler dans la spécialité d’Assistant de foyer.

Notre spectacle était au point, Philippi, surnommé « la p’tite boule » a décidé de nous faire tourner dans tous les Foyers de l’arsenal de Toulon et des bases alentours.

Pendant plus de deux ans, nous avons écumé les salles des Foyers de la III° région maritime, avec un certain succès. Et je me sentais de plus en plus proche de ces matelots ou seconds qui avaient pour boulot de s’occuper des loisirs des équipages. Je commençais à glisser lentement et de façon incontrôlée vers ce qui allait devenir ma carrière dans la Marine pour les années suivantes.

 

L’Ecole ASFOY avait été déplacée au CIN St-Mandrier, j’y suis parti faire mon cours de « chouf », en 1972 et j’ai retrouvé de suite mes habitudes de la base sous-marine et du Vème Dépôt.

Le temps passé au CIN m’a paru durer une éternité, les missiles, roquettes, torpilles étaient loin d’être ma tasse de thé. Je me foutais, de plus en plus royalement, de la spécialité de missilier ASM.

Passionné de sport, je jouais au rugby et continuais le hockey surglace à la patinoire de La Garde. Je faisais même parti maintenant de l’équipe première. Le mardi soir, le Foyer organisait une sortie patinoire, ce qui nous permettait de faire un « breack », au milieu de notre semaine de cours.

C’est à l’occasion de l’une de ces sorties que je retrouvais celle qui allait devenir ma femme.

Je suis sorti bon dernier de mon cours, avec la mention : « se désintéresse totalement de la spécialité de missilier, devrait être orienté vers un poste de clown, dans un cirque ».

 

Début 1973, je suis affecté sur un escorteur rapide, Le Béarnais. Je me suis marié avec Martine durant le cours, car, je devais partir faire un stage Tartar aux Etats-Unis, mais cela n’a pas abouti.

Je passe sur les péripéties survenues à chacune de nos escales pour en arriver à Madagascar. Ile merveilleuse, sauvage, dévastée à notre arrivée, en 1973, par un cyclone.

En tant que vaguemestre, je sortais tous les jours ouvrables pour aller à la poste navale de l’unité marine de Diégo Suarez, et je ne manquais pas de faire un détour par le Foyer, dont le directeur, Jean René Gonidec ne tarda pas à devenir un ami.

Quelquefois, pour ne pas dire à chaque fois, je m’arrêtais au Foyer Surcouf. Il dominait la rade de Diégo, et son directeur, l’assistant de foyer Thomas, était aussi poilu qu’un œuf. Qu’à cela ne tienne, il ajoutait à l’exotisme du lieu et les « ramas » qui bossaient au Foyer étaient charmantes. Toujours souriantes, comme leur directeur, il ne m’en souvient pas de l’avoir vu un jour faire la gueule. Ses « Ray-Ban » constamment sur le nez, il me faisait penser à ces pilotes de chasse américains de la seconde guerre mondiale. Il avait un « ninas » au coin des lèvres, sa tenue blanche mettait en valeur son bronzage parfait, les reflets du soleil, sur son crane chauve, me rappelaient Yul Brunner.

Le séjour à Madagascar fut des plus agréables, Martine m’y avait rejoint avec quelques autres femmes mariées à des gars du bord. Nous mangions à « La Caravelle », où le potage était souvent agrémenté d’insectes, projetés dans nos assiettes par de grands ventilateurs qui brassaient l’air chaud et humide, jour et nuit.

Après les matches de rugby, contre la Légion, ils étaient les seuls à accepter de nous rencontrer, nous prenions un pot alternativement à l’UM ou à la popote de la Légion.

 

Jean-René et Thomas nous ont organisé, une fois, un voyage au lac sacré d’Anivoran. Cet épisode ne manque pas de sel, nous avons embarqué à une trentaine dans des camions Citroën bâchés et dans deux 2CV commerciales.

Les pistes étaient défoncées par le cyclone et impraticables au franchissement des rivières jalonnant le parcours.

Une fois arrivés au lac, Jean-René nous a raconté la légende. Il s’agirait, de l’histoire d’un vieil homme, allant de village en village. Arrivé à Anivoran, il a demandé à boire aux habitants qui le lui ont refusé, à l’exception d’un seul. En guise de représailles contre ces mauvais hôtes, il a fait pleuvoir durant des jours et des nuits, engloutissant le village et ses habitants qu’il transforma en crocodiles, tous, sauf celui qui lui avait donné à boire, afin qu’il puisse raconter aux nouveaux habitants ce qui s’était passé.

Et, c’est pourquoi, quand des voyageurs passent dans le, village, ses habitants les accueillent en tuant un zébu et en leur offrant l’hospitalité.

Nous avons donc assisté au sacrifice et à la distribution des bas morceaux aux crocodiles qui hantent les eaux sombres du lac sacré, puis, nous avons dégusté, tous ensemble, les bons morceaux et le cochon grillé. Le tout arrosé de bière et de vin du bord avant que de « savourer » la « betsa-betsa » (ndlr : alcool local).

Le retour vers Diégo ne fut pas plus agréable que l’aller. Il s’en fallut de peu, que nous ne restions bloqués au beau milieu d’une rivière en crue. Resté au volant de la 2 CV, Jean-René nous encourageait de la voix, tandis que nous poussions la voiture, afin de la sortir de sa mauvaise posture. Dès que les roues avant ont accroché le dur, la voiture a fait un bon et je me suis retrouvé à plat ventre dans la boue, sous les éclats de rire des occupants des camions, tranquillement assis pour assister au spectacle, se gardant bien de venir nous aider.

 

De Toulon à Madagascar, nous avions comme commandant le C.C. Turcat, frère du pilote de Concorde, mais son temps de commandement finissait durant notre voyage.

Son remplaçant était le C.C. Remy, la prise de commandement se fit à Diégo et le repas dansant était organisé par le foyer Surcouf et son directeur : Thomas.

Le buffet froid fut un succès, l’orchestre alternait les musiques locales et les chansons à la mode en métropole. Au cours d’un « sega » endiablé, Martine se retrouva à danser entre les deux pachas. Nous avons passé une excellente soirée, même si elle présageait le retour.

Par trois fois, nous avons chanté : adieu Diego ; les deux premières, nous fîmes demi tour dans les passes. Les bateaux dont le nom commence par un « B » ont tous eu du mal à quitter Madagascar : le Balny, le Brestois, le Béarnais et j’en ignore sûrement d’autres.

Quand ce fut la bonne, nous avons tous eu un pincement au cœur, en voyant : les amis, les familles, les ramas agiter leurs mouchoirs sur la terrasse du Foyer Surcouf.

« Adieu Diégo, nous n’irons plus,
A Tanambo, le soir venu,
Pour y chiquer une anisette,
Avec cent sous de cacahuètes, … »

 

Un jour, le pacha en second me convoqua dans son bureau. Sur son bureau, il y avait la liasse de messages que nous recevions chaque jour à bord.

- Vieuville, je viens de voir passer un message qui devrait vous concerner.

Il me tend un papier vert où il est écrit que : " L’Ecole des Assistants de Foyer recrute du personnel de toutes les spécialités, pour suivre un cours débutant début 74."

" Que dois-je répondre" me demande le CC Cerisier, en prenant un bloc messages ?

- Commandant, vous pouvez répondre que je suis partant pour faire ce cours d’Asfoy.

- Vous débarquerez à notre arrivée, car votre candidature est d’ores et déjà retenue par la directrice de l’école, Mme Verne.

- Vous serez affecté temporairement à la B.S.M. Toulon, où vous assurerez la formation des sous-mariniers Pakistanais, aux torpilles et tubes.

- Vous êtes bien interprète d’anglais, n’est-ce pas ?

- Bonne chance et continuez d’animer « radio Béarnais » et d’assister l’officier de relations publiques durant les escales du retour.

Il me serre la main et je sors en effectuant le salut et le demi-tour réglementaires.

 

Chapitre 2 : L'ECOLE DES ASSISTANTS DE FOYER

Nous sommes début 1974, je rejoins avec sept autres élèves le C.I.N., je connais déjà les lieux pour y avoir séjourné plusieurs mois en 1972, pendant mon cours de Formation d’officier marinier missilier. Le centre est toujours aussi impersonnel, les bâtiments sont en éternelle finition.

L’Ecole des Assistants de Foyer est située au niveau le plus bas du Foyer. Dans le hall d’entrée, des cages à oiseaux et de grands aquariums occupent deux murs, en face des cages, un autre aquarium, destiné celui-là aux animateurs de loisirs et à la distribution des boules, clés de clubs et autres jeux de société.

Je redécouvre un Foyer qui commence à trouver sa personnalité. Nous sommes accueillis par l’adjudant de compagnie ; Bernard Linder, l’Asfoy Poisson (instructeur photo), et deux autres membres de l’école.

La matinée est réservée aux diverses présentations : locaux, salle de cinéma, clubs de dessin, poterie, maquettisme...

Nous sommes dirigés vers la salle où nous ferons nos cours.

Vers dix heures, Madame Verne fait son entrée, un large sourire aux lèvres, elle avance d’un pas décidé et sûr.

Nous nous présentons, tour à tour, sans souci de l’étiquette, ni des conventions.

Le premier à s’y atteler est Jean-Luc Richard, il fait un rapide compte rendu de son expérience dans la Marine et de ce qu’il attend de sa future spécialité d’Asfoy.

Dans le désordre, il y a : Alain Pascal, Renault, Pascal Soubeyran, Graignic, Frezel, Garrofe, Jean-Luc Richard et moi, Pierre Vieuville.

Je suis le plus ancien dans la Marine et j’ai le grade de second maître, mais je ne suis pas le plus âgé.

Après un petit apéro, nous allons déjeuner au mess O.M. L’après midi est consacré à la présentation de nos divers instructeurs et professeurs. Nous complétons nos dossiers et nous avons une discussion personnelle avec les instructeurs, nous apprenons enfin ce que va nous réserver notre temps de formation. Il y a des maths, du français, du calcul mental, de la comptabilité, de la formation aux divers arts plastiques, à la photo, au théâtre, à l’organisation de soirées, de concours de toutes sortes, projectionniste, enfin de tout ce qu’il nous faudra connaître et maîtriser dans notre future spécialité.

Le soir, nous sommes de service dans l’un des clubs ou dans les diverses salles du Foyer ou nous avons quartier libre à partir du dégagé.

Tous les matins, nous avons des cours de formation générale, l’après midi étant consacré aux autres types d’activités liées à l’animation et aux arts plastiques.

En parallèle à notre B.A.T., il y a un cours de B.E.; ce sont des appelés du contingent qui suivent une formation d’Adjoint au directeur de foyer dans les unités à terre, il n’y a pas encore de poste Asfoy embarqué.

Que dire des cours, magistraux, ciblés, il y a peu de part à l’improvisation. Cela aurait du me faire réagir et attirer mon attention sur le fait que le boulot d’Asfoy, est avant tout celui d’un comptable, d’un administrateur et seulement après d’animateur.

Qu’à cela ne tienne, l’ambiance est sympa, les instructeurs fermes mais tolérants. Les après-midi nous amènent un peu de détente, Jeanne « Véronique » Vaschetto, une superbe femme blonde assure les cours d’arts plastiques. Nous apprécions ses cours, nous y participons avec plus ou moins de réussite, mais, de bon cœur.

Bernard Poisson nous fait découvrir la photo et ses ficelles. Prises de vues, développement des pellicules dans la chambre noire, où il règne un certain nombre de mystères, tirage des clichés en noir et blanc.

Pour le théâtre, c’est un appelé qui assure la formation de base, il a de bonnes connaissances et beaucoup de pratique, on sent bien qu’il maîtrise son sujet.

Pendant une semaine, Madame Verne fait venir une de ses vieilles connaissances : Georges-Robert Deshougues qui est professeur d’art dramatique au CREPS de Boulouris. Nous découvrons diverses méthodes de concentration, respiration, mémorisation, bases du métier d’acteur. Les conseils avisés et précis de G-Robert nous font découvrir les ressources insoupçonnées que nous avons en nous.

Les jours, semaines et mois passent très vite, les « œuvres » que nous avons réalisées en art plastique vont être exposées, notées, jugées. Une anecdote à ce sujet, nous avons fait des poteries, des sculptures et il faut maintenant les cuire. Mise au four des diverses réalisations, cuisson et ouverture du four. Là, la surprise est de taille, toutes les poteries et sculptures ont explosé, toutes sauf : un moine tibétain et une vierge devenue noire par l’excès de température.

Nous avons fait un stage super 8 avec un technicien de Kodak. Une fois encore, je ne suis pas à la caméra, mais j’interprète un jeune marié avec la femme de Graignic , il se déroule, en partie : à la Sainte Baume et au club nautique de St-Mandrier. Le scénario ne vole pas haut, mais le but étant d’apprendre à manier la caméra et les appareils photo, l’ensemble de notre œuvre est assez réussi, même, si elle ne restera pas dans les annales cinématographiques des Armées.

Nous avons aussi appris à barrer un dériveur, les règles de sécurité et de navigation, juste ce qu’il faut pour tenir un club nautique.

Chaque mois, à la fin du cours de B.E., une soirée cabaret est organisée. Les B.E. assurent la grande partie du spectacle, quant à nous et divers intervenants extérieurs, nous complétons le programme de façon à tenir deux heures.

Je dois dire qu’il y a eu de grands moments : partie de cartes de Pagnol, sketches et imitations à la mode, l’orchestre du C.I.N. se produit et assure les enchaînements.

 

Nous sommes en juillet 1974, Madame Verne m’appelle dans son bureau.

- Pierrot, tu es le plus ancien dans la Marine, tu vas sortir deuxième du cours et il me faut un volontaire pour partir en Corse, prendre le poste de directeur du Foyer La Magicienne de la B.A.N. Aspretto. Nous avons pensé à toi, nous en avons discuté longuement avec les instructeurs et nous ne voyons que toi. Martine, ta femme est enceinte de cinq mois et nous comprendrions tes réticences. Vous en parlez et tu me donnes ta réponse demain.

Le lendemain matin, je donne une réponse positive à « Mémée ».

- Merci, je savais que tu accepterais.

- Tu ne vas pas finir le cours, tu prends l’avion à Hyères, lundi matin, Monsieur Hibschele t’attendra à Campo Del Oro. En juillet, tu le remplaceras pendant ses permissions. Tu reviendras pour recevoir ton insigne et tu prendras sa suite courant août.

- Tu as trois jours avant de partir, profites-en bien, m.... et bonne chance.

 

Ce qui fut dit fut fait et c’est avec une affectation en poche que je revins au CIN pour quelques jours.

Toutes les bonnes choses ayant une fin, après une dernière séance de calcul mental, un dernier devoir de français, et des contrôles de connaissances de ce que nous avions appris pendant notre cours, l’heure du bilan a sonné.

La cérémonie des insignes représente un moment important, je quitte le corps des équipages de la flotte pour devenir agent militaire. Plus question de porter des galons, mais un insigne doré sur la poitrine et des épaulettes arborant l’insigne or des Foyers.

 

Chapitre 3 : LA CORSE ET LA B.A.N. ASPRETTO

C’est donc fin août 1974, que ma prise de fonction a lieu. Après un rapide vol Hyères-Campo Del Oro, une heure environ sur un Nord 262 de la 55 S, la haute silhouette massive d’Hibschele se détache sur le goudron gris du tarmac.

La chaleur est étouffante, à certains endroits, le bitume est même fondu, la piste laisse voir des taches d’eau, un mirage bien sûr.

Les deux canadairs de la Sécurité civile sont prêts à partir, leur allure de gros oiseau de mer, souligné par leurs couleurs jaune et rouge, les font se détacher sur la route qui passe en bout de piste.

Rapide passage par le bureau escale et direction la base vie, distante de quelques kilomètres. Nous passons devant le légionnaire de garde au C.I.N.C. (Centre d’Instruction des Nageurs de Combat), puis nous entrons dans la base en passant devant le roulage, les pompiers et la salle de cinéma, attenante au Foyer.

Georges stoppe devant le perron, je prends ma valise, à la volée, nous gravissons les quelques marches et après avoir franchi la terrasse, nous entrons dans le Foyer La Magicienne.

A gauche, se trouve le bureau du directeur. Zerbib, l’Asfoy appelé son adjoint, est à la machine à calculer, attelé à faire les comptes du week-end. Rapide échange de poignée de main, Georges pose ses Ray Ban sur son bureau, moi ma valise dans un coin et nous allons vers le bar, pour y prendre un café et quelques croissants.

La fenêtre au bout du comptoir est ouverte et pendant qu’un barman finit son inventaire, l’autre vend petits pains au lait, croissants et pains au chocolat. Je suis heureux de voir que mon initiative de lancer cette vente de viennoiseries le matin, Georges l’a conservée pendant mon absence.

Cela marche bien, ton truc de petits pains le matin, le boulanger de Mezzavia a du nous livrer deux fois de plus ce matin.

Le petit déjeuner avalé, nous revenons au bureau, le barman a fini son inventaire et il remet la recette à Zerbib.

Petite recette, Monsieur Hibschele, mais avec la fin de la deuxième bordée de permission, ça devrait repartir.

Pierre, Monsieur Santoni, le président du club de rugby a appelé deux fois, il t’attend ce soir, à 19 heures au siège.

Il t’appelle par ton prénom et te tutoie, lance Georges !

Les recettes encaissées, nous attaquons la passation de suite. Aujourd’hui, ce matin, nous faisons le matériel et le casernement, cet après-midi, direction le chalet de Vizzavone, de suite après que tu ais déjeuné au mess OMS. N’oublie pas ton rendez-vous avec ton président, ce soir. Tu joues au rugby, toi ?

En Corse, on ne compte pas en kilomètres, mais, en heures de route. 13 h 30, direction le chalet. 15 h 30, arrivée, une heure de comptage de lits, couvertures, gamelles et bidons et nous revenons à la base. Change toi, je t’emmène en ville, ce n’est pas sur ma route mais je vais faire un détour.

Je réponds à Georges de ne pas s’inquiéter, j’ai un chauffeur qui vient me chercher à 18 h 45. Eh, monsieur a une voiture avec chauffeur à sa botte, il doit t’avoir à la bonne, le président. A demain, 7 heures, pour l’inventaire de la coop.

Le second-maître mécaé Maillot m’attend devant le poste OM, je grimpe dans sa voiture et nous allons au siège de l’Ajax XIII. Pierrot Santoni est au comptoir avec quelques joueurs et dirigeants, un large sourire éclaire son visage en m’apercevant. Eh ! les gars, voilà le hockeyeur, tu as amené du renfort, c’est bien ! Non, c’est un collègue de la BAN, il m’a véhiculé jusqu’ici, car j’étais à la bourre.

Vous me direz que le fait de jouer au rugby dans un club civil n’a rien à voir avec les Foyers. A première vue, c’est vrai, mais, vous comprendrez plus tard que cela à son importance dans une ville comme Ajaccio et la fière mentalité Corse. Les indépendantistes commencent à faire des vagues et le fait de m’intégrer à la vie sportive locale va m’aider dans ma fonction de directeur.

Après une rapide réunion avec présentation des nouveaux joueurs aux anciens, Pierrot Santoni nous annonce les objectifs de la saison : monter en Fédérale 1.

Repas, arrosé comme il se doit de vins corses. L’un des joueurs est viticulteur, un autre fait de la charcuterie et des olives. L’ambiance est festive, on refait le dernier match qui nous a fait rater la montée. J’en profite pour faire plus ample connaissance avec les membres du club et les joueurs. On parle rugby, hockey sur glace, sport en général en évitant d’aborder le sujet indépendantiste. Je leur parle de mon boulot, ils me parlent du leur.

M’adressant au président, je risque une question :

- Pourquoi n’y a-t-il pas de militaires dans votre club, il y a de bons joueurs à la base et ils sont en condition physique ?

- Ca ne c’est jamais fait, à ma connaissance, tu es le premier. La légion a une équipe à Corte et elle évolue dans notre poule, à Bastia, je sais qu’ils ont quelques légionnaires, mais sans plus.

Demain 19 heures, entraînement au stade de Mezzavia, soyez à l’heure, un tour de terrain supplémentaire par tranche de cinq minutes de retard. Ainsi parle notre joueur entraîneur.

Je reviens à la base avec Gerolami, troisième ligne de l’équipe et qui habite non loin de la base.

7 heures, Georges est déjà dans son bureau, Zerbib a ouvert sa boutique et commencé le comptage des petits articles. A 11 heures, l’inventaire est terminé, à midi, le bilan de la bimbeloterie est fait, il y a une légère différence, Zerbib recompte les articles qui pourraient correspondre à la différence. L’erreur trouvée, nous mangeons un en-cas et à la fermeture du bar, inventaire et chiffrage.

Là, surprise de taille, dans les caisses de bouteilles censées être pleines, il y en a des vides. Explication de texte et remontage de bretelles, tout le monde en prend pour son grade, moi y compris.

Devant le manque d’explication des barmen, solidaires qui ne se rejettent pas la faute l’un sur l’autre, Georges leur annonce que ce mois ci, ils vont s’asseoir sur leur gratification.

Le lendemain midi, le bilan mensuel est terminé, au centime prés. Balance parfaite, il ne reste plus qu’à le signer et le contre signer, avant de le transmettre à la direction du FEF de Toulon. Georges téléphone à Monsieur Gautier pour lui annoncer la nouvelle et avoir l’autorisation de continuer la passation de suite.

Le lendemain, je termine mes mouvements d’embarquement et nous rencontrons le « croc » (ndlr : le commissaire) et les diverses autorités de la base.

Le vendredi matin, à 7 heures, je suis au Foyer pour le poste de lavage, j’en profite pour cuisiner les barmen au sujet des bouteilles, résultat nul, ils restent solidaires dans le mutisme.

Qu’a cela ne tienne, aujourd’hui, l’ambiance est à la fête. Après les dernières signatures à la poste, j’aurai pris la suite de Georges Hibschele.

Nous faisons un pot commun, Georges pour son départ et moi pour mon arrivée.

L’état-major de la base et de la 55 S sont présents, les nageurs du CINC, les gars de la Sécurité civile, quelques fournisseurs et deux dirigeants de l’Ajax XIII.

Le midi, la fête continue au mess OM, j’ai fait mettre le vin sur table et en ce début de week-end, peu se soucient de l’après-midi, le départ des permissionnaires étant avancé à 14h30.

Zerbib part en permission pour trois semaines, je me retrouve donc seul pour tenir la maison. J’organise mes journées de façon à ne pénaliser personne. La bimbeloterie est ouverte entre 13h30 et 14h00, et le soir, à la demande. Martine est toujours sur le continent, j’ai trouvé un appartement cité Livrelli, le déménagement se fera début septembre.

A force de questions et de recoupements, je finis par apprendre que les barmen se font racketter. Dans la salle du bar, il y a une demi-douzaine de tabourets en fer. Un soir, je les enlève, ça renâcle un peu, mais comme nous sommes en été ce n’est pas grave. Avant la fermeture, je me glisse dans la réserve et j’attends. Le barman commence à fermer, il ramasse quelques bouteilles çà et là, et nettoie son comptoir. C’est alors que surgit un matelot, il se campe devant le barman et lui dit de faire comme d’habitude. Je vois le barman prendre quelques billets dans la caisse et s’approcher du matelot, c’est alors que je pointe mon nez, un tabouret à la main.

- Tu laisses la monnaie sur le comptoir et on va discuter tous les deux.

Le matelot a un geste de recul, il est sur la défensive, il cherche désespérément un tabouret pour se défendre. Je pose le mien et je m’approche de lui.

- Bon, ça fait un bout de temps que vous rackettez mes barmen, toi et deux autres de tes copains, voilà comment on va faire : demain à onze heures, tu me ramènes tes deux collègues et la totalité du fric que vous avez piqué ou alors, « Bidel » (ndlr : capitaine d’armes). Si, vous ramenez l’argent sans faire d’histoire, je n’en parle pas au Bidel et comme punition vous me nettoierez le foyer tous les jours pendant un mois.

- Si vous envisagez des représailles contre mes barmen, je serai là et pas seul, sur la base comme en ville.

Onze heures, le lendemain, le matelot et un de ses complices étaient là, un sachet à la main.

- Je vois que vous acceptez mon marché, je ne tiens pas à jouer les « Sacos » (ndlr : fusilier marin) dans mon Foyer, mais je n’ai pas l’intention de me laisser emmerder par des branleurs de votre genre.

Il faut dire qu’à ce moment là, je pèse le quintal et que je pratique le sport de façon intensive.

Je n’aurai plus aucun problème de ce genre durant mon affectation à Aspretto.

Les permissions passées, la vie reprend ses droits sur la base. A l’appel du matin, j’aperçois, de mon bureau la cérémonie des couleurs, les grandes lignes de la feuille de service sont lues par le maître de garde et ensuite, c’est la mise au travail.

Sous le prétexte de la vente des viennoiseries, les barmen ne vont plus à l’appel, seul un membre du Foyer va rendre l’appel.

Cette semaine, j’organise un concours de belote ouvert à tous, une première, généralement le Foyer organisait ses concours et les OM les leurs. C’est un succès, plus de 40 équipes inscrites et victoire du vaguemestre et du commis.

Et ainsi, chaque semaine, j’organise un tournoi, un concours, une animation.

De par mes contacts avec la société civile ajaccienne, grâce au rugby, je peux organiser des soirées avec des intervenants extérieurs à la base : musiciens, conteurs corses, chanteurs...

J’ai réussi à ramener deux ou trois joueurs de rugby au club, nous sommes bien intégrés et la sauce commence à prendre. Les victoires succèdent aux défaites, mais à l’avantage du nombre de victoires, ce qui nous amène dans le quatuor de tête du championnat.

Martine est arrivée, nous sommes maintenant installés dans la cité Livrelli occupée par des civils et des militaires de la BAN.

La dernière semaine d’octobre, une frégate anglaise fait escale à Ajaccio. Au cours des réceptions en leur honneur, deux matches de rugby sont organisés. Un à quinze l’autre à treize. Ils gagnent la première partie et nous la seconde, le bateau est au port et le 30 octobre, il y a cocktail à bord. Ma femme est invitée ainsi que des femmes d’autres joueurs, elle est enceinte de neuf mois et le toubib du bord, lui dit dans un français approximatif : « vous allez nous faire un petit anglaise» !

Le lendemain, dans la soirée j’emmène Martine à la clinique Guglielmi, où elle accouche de notre premier enfant. C’est un garçon, Hervé. Je reste quelque temps avec Martine et Hervé, puis, la nuit avançant je me décide à rentrer à la maison.

Je reviens dans une petite heure, ma chérie.

Il reste un bar d’ouvert sur le port, c’est le siège du club, je fais un détour et tombe sur une demi-douzaine de joueurs anglais et français qui chantent et boivent. J’annonce la nouvelle, je reçois les félicitations d’usage et un anglais me dit : "come on boy, we have to go to the ship !" Nous prenons la direction du bateau, nous n’avons pas encore franchi la coupée que la moitié du bord est réveillée. Les coupes succèdent aux verres de whisky et ce n’est que vers neuf heures du matin que je reviens à la clinique, penaud mais si fier de ma femme et de mon fils.

 

Chapitre 4 : LE TOUR DE CORSE

Il est un événement important dans la vie de l’île, le tour de Corse. Avec cinq membres du club photo du Foyer, nous avons décidé de faire un reportage sur la course.

Ayant obtenu les accords nécessaires des autorités de la base, pour que nous soyons couverts de façon officielle durant notre aventure, je me suis attelé aux autorisations de l’Automobile Club Corse. Grâce à l’appui de Pierrot Santoni et du fait que je jouais à l’AJAX XIII, cette démarche fut une formalité aisée.

Six badges presse, trois jeux d’autocollants officiel et presse pour les voitures, trois caméras super 8 et six appareils photo, nous sommes prêts.

Le départ a lieu à Bastia, deux voitures couvrent le départ, la 3e se rend sur la première spéciale. Nous avons repéré les bons endroits durant les deux week-ends précédents et nous sommes parés pour couvrir toutes les spéciales.

Et ainsi, trois jours et deux nuits durant nous suivons, précédons, anticipons sur le déroulement des épreuves pour les couvrir, aussi bien en super 8 qu’en diapo et photo.

Andretti et sa "Stratos", les "Berlinettes" Renault Gordini, enfin toutes les marques en compétition pour le championnat des rallyes sont là.

Dès notre retour à la base, le lundi matin, j’envoie tous les films à mon collègue de chez Kodak qui nous a fait le stage durant le BAT. Je sais que les films seront suivis et bien exploités, ne reste plus qu’à attendre le retour des pellicules et les commentaires.

Nous avons prévu une expo photo au Foyer, mess OM, cafetaria et une projection diapos et films dans la salle de cinéma. Nous espérons tous les six que le résultat sera à la hauteur de notre engagement, si ce n’est pas le cas, nous aurons quand même vécu une sacrée aventure.

Quinze jours plus tard, je reçois un colis de chez Kodak. Les pellicules noir et blanc que nous avons développées et tirées, au labo de la 55 S, sont bonnes mais…

J’appelle mes compagnons d’aventure et rendez-vous est fixé : ce soir à 5 heures, pour que nous découvrions ensemble le résultat.

Je joue le jeu et je n’ouvre pas le colis, à 5 heures pétantes, ils sont tous là.

Nous commençons par les diapos, les résultats sont bons voire même excellents pour certains clichés. Les photos couleurs vont devoir faire l’objet d’une sévère sélection, car elles sont très bonnes, elles aussi. Arrivent, les films super 8, ils ne sont pas montés et nous enchaînons le visionnage. Il faut se rendre à l’évidence, il ne va pas être facile de choisir et sélectionner les images que nous allons montrer.

Après avoir montré les clichés au Commandant de la 55 S, et obtenu son autorisation d’utiliser le labo de l’escadrille pour peaufiner nos travaux, nous sommes fin prêts cinq semaines plus tard pour lancer notre exposition.

Un week-end durant, nous collons, affichons, installons les cimaises, dans tous les points stratégiques de la base et le lundi matin, nous pouvons apprécier le résultat de notre travail, au vu de la réaction des gens de la base.

Nous pouvons passer à la phase diapo et super 8, durant un mois, les soirs où il n’y a pas séance de cinéma, nous projetons les films et les diapos.

Cela fera l’objet d’un article dans Corse Matin.

 

Chapitre 5 : LE SPORT DANS ET HORS DE LA BASE

Nous avons un club nautique composé de quelques dériveurs et d’un quillard, type "Muscadet", le "Petrel". Notre moniteur de voile est un excellent barreur, il participe aux différentes régates du coin et a de bons résultats.

Sur son insistance, nous organisons une sélection d’équipiers en vue, non plus de participer, mais de gagner les courses. La saison des régates s'étalant sur plusieurs mois, nous avons le temps de nous préparer et nous inscrivons notre bateau à toutes les régates de la saison.

La première est le triangle du golfe d’Ajaccio, première participation, première victoire. Les courses se suivent et nos résultats sont excellents, cinq courses, quatre victoires et une place de second. Il ne reste plus que le triangle des trois golfes qui s’étale sur deux jours.

Nous finissons avec deux heures d’avance sur le second, la saison es terminée et nous terminons premier : de notre classe et toutes classes confondues.

Nos résultats sont si bons que le Yacht Club d’Ajaccio nous met hors compétition pour la prochaine saison, ou alors, avec handicap.

 

Quant au rugby, il y a de plus en plus de joueurs de la base au sein de l’AJAX XIII, au point que nous avons de quoi constituer deux équipes avec des remplaçants.

L’équipe fanion est en phase de réussir son challenge, accéder à la fédérale 1. Il faut penser à la saison prochaine. Le président décide de réunir : joueurs et dirigeants en vue de fourbir ses armes et inventorier ses effectifs.

Nous avons de quoi jouer les deux championnats, si nous passons, à condition de constituer une équipe BAN, vivier de l’équipe première, avec des joueurs pouvant prétendre à jouer l’un ou l’autre des championnats.

Le dernier match gagné, contre Corte, nous sommes en fédérale 1.

Il faut maintenant que l’état-major de la BAN soit d’accord sur le principe. Nous organisons une réunion entre les dirigeants de l’AJAX XIII et le service des sports de la base au grand complet. Un mercredi à onze heures, les dirigeants arrivent à la base, la réunion se tient au Foyer. Pierrot Santoni fait l’éloge des joueurs de la base qui ont largement contribué au succès de cette saison, il cite quelques noms qui suscitent un moment d’étonnement des militaires, ils ignorent visiblement à quel point la BAN est intégrée à la vie sportive de la ville. Devant tant d’arguments, les autorités de la BAN donnent leur feu vert, à la condition, que cela n’entrave pas le bon fonctionnement des services. Les matches ayant lieu le dimanche, le problème est réglé avant de se poser, de plus, les rencontres se tiendront sur l’île. Plus tard, les bons résultats des joueurs de la base me permettront d’obtenir un bus pour certains déplacements, le chauffeur devant être volontaire.

Le PM Devaux, chef du service des sports, est un ancien canonnier, et ça a tout de suite collé entre nous.

C’est ainsi que le sport, encore une fois, permettait de rapprocher deux collectivités qui gardaient leurs distances jusqu’alors.

 

Chapitre 6 : LES EVENEMENTS

La tension monte sur l’île, les nationalistes multiplient les attentats, toutes les autorités représentant l’Etat sont visées. Des chevaux de frise sont dressés aux entrées de la base, la tenue civile est obligatoire pour les permissionnaires, bref, ce n’est pas la joie.

Nous avons déménagé de Livrelli, j’hérite d’un logement de fonction, une petite villa au sommet de la colline surplombant la BAN. De la haut, nous avons une vue imprenable sur le golfe de Porticcio d’un côté et celui d’Ajaccio de l’autre.

Nous avons même un potager, des amis corses du club sont venus le labourer, ils m’ont donné deux cents plants de tomates, des haricots, des patates et bien d’autres légumes.

Particularité, nous sommes au dessus de la soute à munitions et face au poste de garde.

Une nuit, alors que nous sommes dans notre chambre, un bruit sourd et lointain nous réveille. Avec Martine, nous pensons à un attentat du côté des cabanons sur la plage de Porticcio. Je sors voir si je peux distinguer quelque chose. Un incendie vers l’aéroport de Campo del oro, les gyrophares des camions de pompiers déchirent le ciel. Je reviens vers la maison pour appeler la base, il s’agit bien d’une explosion à l’aéroport, ils auraient fait sauter un Nord 262 « EVASAN ».

J’en saurai d’avantage dans quelques heures.

A 7 heures, lorsque j’arrive au Foyer, l’excitation est à son comble. Les gendarmes maritimes sont sur le pied de guerre, ils ne sont pas les seuls. Devaux me tire à l’écart et me dit : "Le CSG veut armer les sentinelles le jour et la nuit".

Le CSI me prend à part :
- Je sais que ce n’est pas dans tes attributions, mais, à problème exceptionnel, solution exceptionnelle.
Ta première spécialité, c’est bien armurier, tu vas prendre en charge avec Devaux : la distribution des armes et des munitions, vous aurez trois fusiliers avec vous.
Vous vous chargerez de contrôler le niveau de connaissance des gens à qui vous remettrez les armes.

Au cours de l’appel qui suit, le ton est austère. Le PM Devaux, officier de garde, dirige la cérémonie, le Pacha en second nous dit que le Commandant va s’adresser à nous.

L’attente est de courte durée, le Pacha arrive escorté : du Commandant de la 55 S, du Cdt du CINC et du Major Gendarme Maritime. Cette fois, les affaires sont sérieuses, nous passons à un degré d’alerte proche de nos actuels plans vigie pirate.
Avec Devaux , nous allons à l’armurerie. Il faut préparer les armes et les munitions qui vont être distribuées aux factionnaires et fusiliers marins qui seront armés en permanence. J’éprouve un certain plaisir à retrouver les contact froid des armes. Sais-je encore démonter et remonter un MAC 50, une AA 52 , MAS 49/56 ou une MAT 46 ?

Je tente l’expérience sur un MAC 50, Devaux me regarde d’un œil amusé et me dit : "c’est comme le vélo, ça ne s’oublie pas".
Après avoir dégraissé et préparé les différentes armes pour la distribution, aidé de trois commandos de la base, Devaux me dit : "il faut voir si ils savent s’en servir, en attendant les renforts de la compagnie de protection de Toulon, tu vas me donner un coup de main".

Par palanquée de dix, nous vérifions la bonne connaissance de l’utilisation des armes et des consignes de sécurité des matelots, QM et OM à qui nous allons les confier.
Les niveaux sont différents, mais, dans l’ensemble c’est plutôt satisfaisant.

Le fait est que, tous les soirs, je passe à l’armurerie y prendre un MAC 50 et une MAT, puis je regagne la villa pour y passer la soirée et la nuit.

Au bout de trois jours, les premiers renforts venant du continent arrivent. Il s’agit d’élément de la Cie de Protection de Toulon. Ils sont répartis sur l’ensemble de la base et de l’escadrille. L’aéroport civil étant sous la protection des gendarmes mobiles. Tout ce beau monde vit sur la base, le Foyer prend des airs d’unité de campagne. On y croise : des marins, des gendarmes mobiles, des légionnaires appelés en renfort au CINC, la base a pris de l’ampleur. Les contrôles d’identité sont fréquents, les accès de plus en plus réglementés.

Nous faisons des projections de films tous les soirs, la coop est prise d’assaut, j’ai deux barmen en supplément et les salles de télé sont devenue trop petites.

Le poste de garde du dépôt de munitions est maintenant armé par de jeunes fusiliers marins, mais il n’y a pas de chef de poste, cette fonction m’est dévolue. Ce qui fait que toutes les nuits, je suis bon pour deux ou trois rondes et quelques réveils en sursaut.

- Chef, on a entendu du bruit, vous pouvez venir voir ?

Je prends mon pistolet et je sors faire un tour avec les jeunes. En effet, depuis quelques temps, on entend des bruits suspects à l’aplomb du grillage donnant sur le CINC.

Mon chien passe les nuits dehors et chaque fois qu’il entend un bruit inhabituel, il se précipite vers la source en aboyant, ce qui ne manque pas de donner la frousse aux jeunes.

Ce n’est qu’au bout de quelques nuits agitées que nous trouvons l’origine de ces bruits. Il y a un figuier qui est planté prés de la clôture, ses branches surplombent la petite falaise et quand une figue se détache, elle rebondit dans les buissons, réveillant mon chien qui y va de sa séance d’aboiements.

Une nuit, où Devaux est de service, il effectue une ronde des différents postes de garde avec sa chienne, une superbe bergère allemande, qui obéit au doigt et à l’œil aux ordres de son maître. Nous prenons deux jeunes avec nous et entamons une ronde de vérification de la clôture donnant sur la partie civile de la colline. Tout à coup, la chienne s’arrête, DEVAUX nous stoppe avec son bras en portant son index à la bouche. Ce signal est international, nous arrêtons notre progression. Devaux met sa main sur le grillage. Il vibre. Quelqu'un est en train de le couper avec des pinces. Nous nous déployons dans le maquis, sans bruit, tous les sens en éveil. Devaux lance sa chienne et nous nous précipitons vers le lieu d’où proviennent les bruits. De l’autre côté du grillage, les buissons s’agitent, visiblement nous avons dérangé des intrus. En effet, des ombres se faufilent entre les genêts et les arbousiers. Nous tirons une petite rafale en l’air de façon à leur faire comprendre, que, le cas échéant nous ferions usage de nos armes de façon moins dissuasive.

Le lendemain, à l’appel, nous recevons les félicitations du CSD, accompagnées d’un bémol pour usage de nos armes, sans avoir été attaqué. Qu’à cela ne tienne, nous avons fait sensation et nous aurons de quoi alimenter les discussions du jour.

Les jours se suivent sans autre anicroche, petit à petit, le climat se détend et la vie reprend ses droits.

 

Chapitre 7 : LES ENNUIS COMMENCENT

Zerbib arrive à la fin de son temps, nous faisons une dernière fois, ensemble, l’inventaire de la bimbeloterie. Ce vendredi est le dernier jour du mois, je termine mon bilan et prépare un versement CCP, il est assez conséquent, les affaires marchent plutôt bien avec tout ce monde sur la base.

Le vaguemestre, un « pays » débarque lui aussi ce week-end, il part au cours de BAT mécano. Je lui confie le mandat, il me fait un reçu provisoire et je rejoins mon bureau, nous sommes en début d’après-midi et je décide d’accompagner Zerbib pour l’aider dans ses préparatifs de départ.

 

Il y a deux vols de permissionnaires, chaque vendredi, Zerbib est sur le premier, après l’avoir déposé au bureau des passages, je reviens à la base vie.

Je dois sortir de bonne heure, car ce soir, j’ai entraînement de rugby. J’en oublie donc mon mandat.

Le bilan mensuel étant fait, je ne reviens pas sur la comptabilité du mois précédent et le temps passe.

Seulement, les relevés CCP ne correspondent pas à mon grand livre. Je vois donc le problème avec le nouveau vaguemestre. Nos recherches nous amènent à découvrir que le mandat n’a jamais été envoyé, j’ai donc un trou conséquent dans ma caisse. Plusieurs milliers de francs. Je signale le problème au FEF qui m’envoie Monsieur Gautier pour vérification.

Ne pouvant justifier, de façon irréfutable, ma bonne foi, je me retrouve à Toulon, avec toute ma comptabilité, pour tirer les choses au clair. Je comble le trou de mes deniers et comme punition, je suis affecté au CIN St-Mandrier , à la comptabilité, avec Silvestri et Ludovic Le Page.

Je fais contre mauvaise fortune bon cœur, je vais quand même pouvoir faire de l’animation en grand.

 

Chapitre 8 : UNE AGREABLE PUNITION

J’arrive en numéro 3, en 1975, dans une grande boutique, vous connaissez presque tous ce Foyer du CIN St-Mandrier, qui bizarrement n’a jamais eu de nom (ndlr : devenu Foyer Elisabeth Boissat après fusion avec le Foyer de l'ex GEM).

Les journées commencent par l’incontournable inventaire des bars et réserves. Puis vérification des recettes, enfin la routine. Le bureau de Mr Le Page jouxte le nôtre, la porte de communication est rarement fermée et nous pouvons entendre en direct ses réactions ; aux coups de téléphone, interminables (pour aller de Toulon à Hyères, Ludovic passe volontiers par Brignoles et St-Maximin). Quelquefois, un cinglant : Vieuville, qu’est ce que c’est que ce merdier ? Viens dans mon bureau, le ton redevient très vite cordial, le « merdier » étant généralement une pécadille.

Je me plais bien ici, le travail en équipe me convient parfaitement, j’en arriverais presque à apprécier la comptabilité.

Et puis, il y a le sport, je retrouve ma place dans l’équipe des guêpes, nos maillots sont jaune et noir. Je joue pilier droit, "Nounours" Demeurs s’occupe de ma préparation physique : musculation, assouplissement, entraînement aux lancers en touche… Je prends du muscle et du poids, 102 kilos, mais le 100 mètres en 12,4 secondes.

Le PM Lagorio est adjudant, Labbe est instructeur avec Jean-Luc Richard, puis il y a deux ASFOY du contingent et un Aspi en charge de l’instruction générale.

 

Souvent, le midi, nous faisons un tennis avec Benoît Martin, Nounours, Bellanger et moi.
Le soir, après le dégagé, je passe toujours par le mess OM, j’y rencontre les gradés de service et je les informe du programme du soir au Foyer.

J’ai de nombreux contacts avec Bernard Porcon (Bernard Phane pour la scène).
Nous avons la même idée du « travail » d’ASFOY, un bon Assistant de foyer devrait être, avant tout, un animateur, il n’y a qu’à mettre des fourriers ou des comptables à la gestion.

Fort de cet état d’esprit, il est sur que je ne vais pas me faire que des amis. Le rôle d’animateur, bien qu’important, ne vient pas en première place pour la plupart du personnel civil ou militaire des Foyers, si la gestion est bonne, que les bénéfices sont suffisamment importants, on peut penser à dépenser de l’argent pour faire se produire des groupes civils, plus ou moins professionnels, et assurer ainsi les divertissements de l’équipage.

Pour ma part, je suis du genre créatif, il existe des talents dans la marine : musiciens, chanteurs, comiques, acteurs. Il faut les découvrir, les faire s’épanouir et constituer une troupe permettant de produire ces divers talents dans les unités à terre et embarquées.

Tout vient à point à qui sait attendre, dit le proverbe. La fin d’un cours de BAT, va provoquer un bouleversement dans ma carrière. Benoît Martin me remplace à la comptabilité et je descend d’un étage pour devenir instructeur au cours de BE. J’ai d’avantage les coudées franches, Mme Verne sait que je boue d’impatience de monter un spectacle.

Un ASFOY appelé est affecté à l’école, spécialité : l’art dramatique. Il ne m’en faut pas plus pour démarrer mon projet. Jeanne « Véronique » fait réaliser des affiches dans son club.

 

Il commence à y avoir des PFAM au CIN, et quelques unes fréquentent de façon assidue le Foyer. Une, deux, trois, six candidatures arrivent sur mon bureau, il commence à y avoir matière à constituer les bases de la troupe. Nous organisons des auditions. Des talents existent, ils sont là. L’orchestre du CIN est toujours opérationnel, il tient bien la route.
Nous avons les bases pour démarrer. Nous choisissons quelques pièces : En Attendant Godot, Des Souris et des Hommes, Du Vent dans les Branches de Sassafra, Les Boulingrins, La Peur des Coups…

 

Après des heures de répétition, nous sommes prêts.
Nous décidons de tester une pièce lors d’une soirée cabaret, La Peur des Coups. Roseline Prieur tient le rôle féminin et moi celui du mari. Le fait que tout au long de la pièce, Roseline se déshabille pendant que nous avons une scène de ménage, ne laisse pas l’auditoire masculin indifférent. A chaque fois qu’elle ôte : sa veste, un chemisier, une crinoline, un jupon, des sifflets et des encouragements ponctuent son effeuillage. Elle finit en culotte et juste au corps sous les applaudissements de la salle.

Les décors sont réalisés au club arts déco, les costumes sont récupérés ou réalisés par le tailleur de l’arsenal et la technique est assurée par l’équipe permanente du foyer, équipe qui verra ses rangs grossir au fur et à mesure que nous assurerons nos prestations.

Notre entreprise est sur la bonne voie. Le reste du spectacle est assuré par Bernard Phane, l’orchestre du CIN, les élèves BE et des intervenants extérieurs en fonction du thème retenu pour la soirée.
Bientôt notre notoriété franchit les limites du CIN, nous sommes demandés dans d’autres Foyers de la III° région. C’est ainsi que nous écumons les trois foyers de la presqu’île, ceux de l’arsenal, les BAN de Cuers, Hyères, Saint-Raphaël, Nîmes-Garons.
Il ne reste plus que France Sud, Les Marins Pompiers de Marseille et Aapretto où ne sommes pas allés.
Pour les deux premiers, c’est une affaire de temps, quant à Aspretto, le problème est plus épineux. Pas question d’y aller en semaine. Ce ne peut se faire que sur un week-end.
Il faut transporter les décors, même si ils ne sont pas très encombrants, il faut au moins un petit camion. La traversée en bateau prendrait trop de temps, il ne reste que l’avion.
Tout le monde me dit de laisser tomber, que c’est irréalisable, utopique, pas sérieux.

Il suffit que l’on me dise que je ne peux pas faire pour que je mette tout en œuvre pour y arriver. Je prends contact avec le commandant de la 55 S, à Aspretto. Je sais que tous les vendredis deux Nord 262 font la navette entre la Corse et Hyères. Le commandant me dit qu’il va étudier l’affaire et me rappeler dans la semaine.

Quelques heures pus tard, il m’appelle pour me donner son accord de principe. Je lui demande d’adresser un message à l’école ASFOY , de façon à avoir une base de travail pour m’organiser.

Reste à obtenir du Directeur des cours et des divers capitaines de compagnie, l’autorisation de débaucher trois jours durant le personnel qui doit se déplacer.

Une fois toutes ces démarches effectuées, il reste à définir une date. Ce qui n’est pas le plus difficile.
J’obtiens du roulage ; un camion pour les décors et un bus pour le personnel, le vendredi après-midi à l’aller et le lundi matin au retour, pour le CIN et pour la BAN.
Et, c’est ainsi que nous sommes allés, contre toute attente, passer un week end en Corse en assurant deux prestations, l’une le vendredi soir pour le personnel de la base, l’autre le samedi pour le personnel civil, militaire et les familles.

Pas mal, pour un truc irréalisable et pour un petit second-maître ASFOY.

 

Chapitre 9 : LES SOIREES EXCEPTIONNELLES

Entre toutes les animations que nous avons pu organiser, il en est une que nous ne maîtrisons pas, il s’agit des rencontres interarmées de R.M.C.
Le but du jeu étant de faire se rencontrer : des bases, des unités, des régiments des trois armées.

La presqu’île de Saint-Mandrier est opposée en phase éliminatoire à la base aérienne de Saintes, le première manche a lieu au G.E.M., la marine est représentée par l’orchestre du C.I.N. et la chanson Diana, le bagad du G.E.M., le jazz de la flotte et quelques autres prestations qui ne m’ont pas suffisamment marquées pour que je m’en souvienne.
Ce que je n’ai pas oublié, c’est l’invitée d’honneur : Jeane Manson.
Elle interprète "Faisons l'amour avant de nous dire adieu", devant un millier de marins et aviateurs massés sur le stade du G.E.M..
Le succès qu’elle remporte ce soir là, frise l’émeute, les bâchis et les calots volent sur la scène, il y a sept ou huit rappels.

Après le spectacle, un pot est organisé dans le bâtiment commandement, Jeane y va du refrain de sa chanson fétiche.
Je profite de cet attroupement pour faire chanter aux aviateurs et marins attroupés sur l’esplanade : "C’est nous les gars de la marine". Ce ne fut pas un triomphe, mais cela permit aux deux clans de se rapprocher, oubliant l’échec pour la marine et renforçant le succès pour l’aviation.

Nous allons voir ce que nous allons voir, la prochaine fois à Saintes.

 

Je ne sais plus à quelle occasion, j’ai rencontré Dominique Khim et Jean-François Mattei, de l’Albatros, mais ce dont je me souviens, c’est de la rencontre magique avec le groupe Wapassou.
Leur style musical est précurseur, le groupe est composé d’une guitariste, d’un violon et d’un organiste. Ils sont alsaciens et sont les protégés de Jeff et Dominique. Frédéric Fizelson leur fabrique le matériel : laser, baffles de plus d’un mètre de haut avec une puissance phénoménale, une console de mixage à faire pâlir de jalousie n’importe quel studio d’enregistrement.

Les cheveux, très longs, de Freddy Brua, organiste et leader du groupe ; la souplesse surprenante du violoniste dont la longueur de cheveux est similaire à celle de Freddy ; la sveltesse et le regard angélique de la guitariste, font littéralement fondre les spectateurs.

A cette époque, ils ont trois œuvres à leur répertoire : Messe en ré mineur, Louis II de Baviere et Salambo.
Pendant qu’ils jouent, des diapos sont projetées en toile de fond, visiblement, leur style musical plait aux marins, il leur plait tant que je décide de leur organiser une série de concerts dans quelques mois.

Nous ne faisons que les grandes unités, et je suis le premier, bien avant Johnny, à las faire passer sur les deux P.A. : Foch et Clémenceau.

Martine et moi, participerons à l’enregistrement de Salambo, au studio "Les pieds dans l'eau", à Juan-les-Pins.
Notre nom figure sur la pochette du disque, dont le graphisme a été réalisé par Jeanne Vaschetto. A ce moment là, les repas étaient constitués de pâtes et de nouilles, quelquefois agrémentés de sauce bolognaise.

Depuis ce jour là, j’ai entretenu des relations particulières avec l’Albatros et Frédéric Fizelson. C’est ainsi que Frédéric nous a fourni la sono pour la radio du C.I.N., les éclairages mobiles pour la troupe de théâtre et divers autres matériels techniques.

Nous avons ainsi produit et fait tourner : Les Sales Gosses, Les Chasquis, Le Jazz de Luis Fontana et Yvonne Apennini, Daniel Darden…

Cette organisation va durer jusqu’à fin 1977.

 

Chapitre 10 : MA SOIREE D'ADIEU

Au mois de décembre 1977, je reçois une nouvelle affectation, je change de région et de C.I.N., direction Cherbourg et Querqueville.

Mais avant de partir, je me dois de faire quelque chose d’exceptionnel. Je vais organiser la plus grande soirée jamais vue au Foyer du C.I.N. Saint-Mandrier.

Je contacte tous les groupes, tous les artistes, tous les talents qui sont déjà passés dans les Foyers de la IIIe région maritime.

Nous allons faire, en semaine, une soirée regroupant tous les gens à qui je tiens et avec qui j’ai pu travailler durant mon séjour au C.I.N., ce qui représente un sacré panel d’artistes en tous genres.

Tous les clubs du Foyer sont de la partie, beaux arts pour les décors et les affiches, photo pour les reportages et la sérigraphie.

La soirée aura lieu dans la salle de cinéma du Foyer, la tenue bourgeoise sera de rigueur, seuls les pompiers et le personnel de service sera en uniforme, les familles sont invitées.
Obtenir du commandement que la tenue bourgeoise soit de rigueur, pour une soirée en semaine, ordinairement destinée au personnel présent sur la base, ne fut pas chose aisée.
Mais, je ne lâche pas facilement le morceau, quitte à mettre dans la balance ma crédibilité et ma carrière.

Donc, en ce mercredi du mois de décembre, les invités civils et militaires arrivent à l’aubette. Un ASFOY est présent pour l’accueil et l’aiguillage des invités vers les parkings mis en place au plus prés de la salle de cinéma.
Un vestiaire est dressé dans la salle de jeux, une ambiance musicale est diffusée par la radio du Foyer, du personnel en tenue assure le placement des invités au fur et à mesure de leur arrivée.

Les huit cents places de la salle sont occupées, un bon quart d’heure avant le début du spectacle. Nous allons jouer à guichet fermé.

La première partie du spectacle est réservée aux numéros amateurs du personnel militaire du C.I.N.
A un numéro se déroulant devant le rideau succède un numéro à rideau ouvert.

La soirée débute par un numéro de magie de Bernard Phane, suivi par la Peur des Coups, chanteurs et sketches alternent.
Entracte, j’assure la présentation de la soirée, Les Chasquis, Le Jazz de la Flotte, Daniel Darden, Les Sales Gosses, François Deguelt puis Les Wapassou composent la deuxième partie du spectacle.

Vers 23 heures, la soirée se termine par la présentation de tous les artistes ayant participé au spectacle. J’ai la gorge serrée, les applaudissements nourris accompagnent les artistes au fur et à mesure de leur entrée sur scène.
On m’offre un bouquet de fleurs et j’ai même droit à une « standing ovation ».

Les lumières s’allument, à voir les sourires qui illuminent les visages, les gens ont du passer une bonne soirée. Je serre des mains, reçoit des tapes dans le dos, certaines personnes m’embrassent, je savoure ce moment étant certain de ne pas en revivre d’aussi fort avant longtemps.

Le Commandant et son épouse ont assisté à a soirée, en civil, ainsi qu’une grande partie de son état-major.
Je ne crois pas qu’il y ait déjà eu une telle soirée organisée dans une enceinte militaire, où matelots, quartier-maîtres, OM, OMS, et officiers en civil se soient retrouvés côte à côte pour assister à un spectacle, qui n’aura pas coûté un centime au Foyer, tous les artistes étant venus gracieusement pour me témoigner leur amitié.

 

Une page importante de ma vie d’ASFOY vient de se tourner, début janvier 1978, je serai à Querqueville.

 

Chapitre 11 : LE CIN QUERQUEVILLE

Le 4 janvier 1978, j’arrive en gare de Cherbourg, c’est la première fois que je suis affecté dans cette région.

Un appel en gare dit que Monsieur Vieuville est invité à se présenter au buffet de la gare. Je traîne ma valise à roulettes et entre au buffet, un maître attend à une table, il me semble le reconnaître.

Janssen, qu’est ce que tu fous là ?
- Je viens te chercher, je suis affecté au foyer du C.I.N. Querqueville, en tant qu’adjudant.

Nous prenons un café ensemble, il attend un autre ASFOY appelé et il nous ramènera ensemble au C.I.N.

J’ai connu Janssen à la base sous-marine de Toulon, il était alors second. Le jeune ASOY attendu arrive, il a un air jovial, les yeux malicieux et un épi rebelle dénature ses cheveux blonds.

- Je vous présente Monsieur Vieuville, vous allez bosser avec lui au service animation.

Nous faisons un rapide détour par le Foyer Chantereyne et direction Querqueville.

La silhouette inquiétante d’un vieux remorqueur, qui sert maintenant de terrain d’entraînement voie d’eau et incendie aux « Sécuritards », se détache sur la plage. Nous franchissons la porte d’entrée, salué par une marinette, puis après avoir contourné deux bâtiments, la voiture stoppe devant le Foyer.

Un grand îlot compose le Foyer, je garde très peu de souvenirs des lieux, pour n’y êtres resté que quelques mois, une douzaine pour être plus précis.
Nous gagnons de suite le bureau du Directeur, Monsieur ?, c’est un homme rondouillard d’où émane la bonne humeur, il ne doit chercher un cheveu sur une coquille d’œuf. Rapides présentations, il est au courant de mon problème en Corse et a décidé de m’affecter à l’animation.

- C’est votre tasse de thé, non ?
Ici, c’est simple, vous avez une idée, vous la développez, vous la chiffrez, vous me la présentez et si elle n’est pas trop tordue, je vous donne mon accord. On fait comme ça ?
- Ben, oui, pas de problème, on va faire comme ça.

Nous visitons le Foyer de fond en comble, de grands couloirs carrelés assurent la jonction entre les divers locaux. Janssen me conduit ensuite au B.S.I. pour y retirer ma feuille de mouvements. Il m’indique les principaux bâtiments où je dois me rendre pour compléter ma liste. Tu as rendez-vous chez le Commandant à 14 heures, on mange à onze, comme ça tu auras le temps de te préparer.

Sur ma liste de mouvements, il y a le bureau sport. Le moniteur qui me reçoit, sort une fiche et me demande quels sports je pratique. Le hockey sur glace ne figure pas sur ses tablettes, en revanche le rugby est en bonne place.

Il faudra que vous rencontriez le LV Mikowsky, c’est lui qui entraîne l’équipe, vu votre gabarit, il aura sûrement besoin de vous.

Le premier soir, je le passe sur la base, Janssen est de service au Foyer, c’est pour moi l’occasion de prendre la température du C.I.N..

Je reste quelques temps au bar, à discuter avec les uns et les autres ; je visite les clubs, seul l’auditorium a une bonne fréquentation, le club art déco se limite à deux ou trois matelots affairés à préparer leur quille.

A 20 h 30, je vais au cinéma, grande salle, sièges peu confortables mais en bon état, là encore, les couleurs des murs sont à ch…

J’accompagne le gradé de service pour la fermeture, le sergent d’armes est là, lui aussi.

Le lendemain, je termine mes mouvements. Ce qui me donne l’occasion de rencontrer le LV Mikowsky, effectivement mon gabarit l’intéresse, mais plus que ma carrure, c’est de mon expérience rugbystique dont il a besoin.

A la question : voulez-vous prendre en main l’entraînement et le capitanat de l’équipe ? Je réponds qu’il me faut rencontrer les joueurs. Ce sera ce soir, a 17 h 30, rendez-vous sur le terrain et vous jugerez sur pièces.

A l’heure dite, je suis sur le terrain avec Miko. Les joueurs arrivent au compte goutte, ils portent presque tous un survêtement et des chaussures à crampons.

Je suis en short, mon maillot fétiche de l’AJAX XIII sur le dos. Le regard des joueurs en dit long sur leur façon de penser ; quel est ce demeuré qui arrive en short, sans KWAY à l’entraînement ? Il est vrai que la température est loin d’être aussi clémente qu’à Toulon.

Miko. fait les présentations et leur annonce que je serai leur joueur entraîneur dès ce soir. Je ne fais pas de laïus, je me mets devant et j’invite les gros à me rejoindre, après une dizaine de tours de terrain, le souffle manque à beaucoup ; seuls les trios-quarts ont suivi le rythme, les avants marchent presque tous sur leur langue. Une pluie fine et glaciale nous cingle le visage. Ceux qui portent un survêtement sont trempés, je leur conseille de les enlever, l’entraînement est loin d’être fini, il reste les fractionnés et les combinaisons de jeu à effectuer. Miko. me regarde en souriant et en grimaçant, pour lui aussi, c’est dur.

A 19 h 30, l’entraînement se termine, les joueurs râlent car ils ont loupé le repas. Je les rassure. Bon, tous à la douche et dans un quart d’heure, rendez-vous au mess OM, le commis nous a gardé à manger. C’est notre première troisième mi-temps, nous mangeons tous ensemble : équipage, OM, officier, cela permet de mieux se connaître. Même les joueurs qui ne sont pas de service ou qui sont mariés et qui ont l’habitude de rentrer chez eux, l’entraînement fini, sont restés.

Les commentaires vont bon train, je dois être un peu fêlé pour demander aux avants de courir comme des trois quarts, pour jouer en short par un temps pareil, de remettre en question toutes les bases acquises avec l’ancien entraîneur, en l’occurrence Miko.

Je leur fais remarquer que : le rugby se joue à quinze ; que lors des matches, il n’auront pas de survêtement et que c’est Miko. qui m’a dit de faire comme je l’entendais au niveau des séances d’entraînement.

 

Chapitre 12 : LES MOUSTACHETTES

En dehors des animations traditionnelles couramment pratiquées dans les Foyers : concours divers, soirées crêpes, excursions au Mont Saint-Michel et plages du débarquement, l’animation à Cherbourg n’est pas aussi fournie qu’à Toulon.

Ce n’est pas du à un manque de compétence du service récréatif, mais plutôt à un manque de spectacles, artistes, locaux , régionaux ou nationaux.

Il existe cependant au C.I.N. une particularité unique dans les annales des Foyers : ce sont Les Moustachettes.
Il s’agit d’un groupe de garçons et de deux filles qui ont monté un groupe de majorettes. Les deux Marinettes, portant jupette, très bien faites, mènent la danse, suivies par une vingtaine de mecs ; barbus, ventrus, moustachus, portant guêtres et jupettes.
Un tricot rayé marine et un chapeau complètent le costume, sans oublier le célèbre bâton.

Cette troupe va ainsi, de ville en ville, de village en village, assurer des prestations qui sont toujours très remarquées. Nous remportons toujours un franc succès, je dis nous, car j’ai bien évidemment intégrer la troupe.

Il existe trois autres figures au C.I.N. ; le MP Sud, magicien de son état, illusionniste et manipulateur.
Les PM Barreau et le PM Jean, eux sont des clowns. Jean-Louis Barreau est le clown blanc, l’autre l’Auguste, il ne manquait que Monsieur Loyal. J’endosse volontiers le costume et je m’investis dans leurs numéros.

Nous suivons généralement les Moustachettes dans leurs déplacements, nos prestations sont gratuites et nous sommes très demandés.

La direction du F.E.F. est située dans les murs du Foyer Chantereyne ainsi que le cercle Officiers Mariniers. Il ne m’en souvient que de Daniel Larcher, que nous appelions, pardon Daniel, Darry Cawl.

Je suis célibataire géographique, Martine est restée à Toulon. Je passe mes soirées sur la base ou bien, je rends visite à la patronne d’une petite pension familiale : « le cabernet ». Elle est veuve et gère seule sa boutique, elle pourrait être ma mère. J’ai fait sa connaissance grâce à Janssen, qui m’a amené déjeuner chez elle un jour où j’avais le blues. La pluie, le vent, l’absence de ma famille me minent le moral.

Au mois de février, Martine vient passer trois semaines à Cherbourg. Daniel Larcher nous accueille au Foyer, le temps est vraiment trop pourri pour envisager de camper.
Ce sera pour le mois de juillet, nous campons dans une canadienne, sur un terrain proche du C.I.N.

Le temps est exécrable, il pleut quasiment tous les jours, sans discontinuer.
La nuit, les vêtements ne peuvent pas sécher à cause de l’humidité de la nuit, nous avons tenu quelques jours, puis nous avons rendu les armes. Direction « Le Cabernet », en échange d’un petit coup de main de Martine, au restaurant, la patronne nous héberge.

Puis, le mois terminé, je commence mes permissions. Du jour où nous quittons Cherbourg, un soleil radieux nous accompagne jusqu’à Toulon.

Un fait nouveau va précipiter les choses.

Tous les mois, je vais chez mes parents qui habitent à Alençon, cela me fait moins loin que Toulon et me permet de souffler un peu.

Le propriétaire de mes parents vient à décéder, ses enfants sont décidés à vendre ; mes parents étant trop âgés pour obtenir un prêt et acheter la maison, ma sœur vient juste de faire construire, je me retrouve donc le seul à pouvoir acheter, sans quoi, mes parents qui ont toujours habité cette maison vont se retrouver à la rue.

Je me porte volontaire campagne dans l’espoir de partir assez vite. Avec ma prime de départ et ma solde campagne, ça devrait coller. Ma foi, la chance est avec moi, à peine deux mois plus tard, je suis désigné Mururoa.

J’ai juste le temps de concrétiser l’affaire et c’est le grand départ. Je ne connais pas la Polynésie, c’est donc une bonne occasion de le faire.

Je fais un bref passage par Toulon, quelques contacts avec des collègues qui ont déjà fait Tahiti. Je glane de bonnes adresses et de précieux conseils.

Puis, c’est le départ, la séparation est difficile, je pars pour un an, sans possibilité de retour.

 

Chapitre 13 : MURUROA

1978/1979

Escale à Mirabelle, aéroport de Montreal, puis Los Angeles et arrivée à Faaa.<:p>

La première chose qui me frappe, à l’ouverture de la porte, hormis la chaleur, c’est l’odeur enivrante du Tiare.

Au bas de l’échelle, une foule de civils et militaires, les bras chargés de colliers de fleurs nous attend.
Les colliers en plus, j’ai déjà vécu cette scène en Corse. Georges Hybschele m’attend, il n’a pas changé, si ce n’est qu’il arbore fièrement une casquette et des épaulettes portant deux ficelles.

Je dois rester deux jours à Papeete, le temps de remplir quelques formalités. Georges est là pour la réunion mensuelle des directeurs de foyers du C.E.P.

Nous prenons ensemble la Caravelle qui assure la liaison entre Tahiti et Muru.

Parmi les nombreux hommes présents sur le tarmac, je reconnais un barbu ; Olivier Ducastel, il est affecté au Foyer Martine, en tant que responsable animation et bureau des voyages.
C’est le poste que devrait occuper l’adjoint du directeur, mais, Georges a du en décider autrement. Jacques Soubeyran, avec qui j’ai fait mon BAT et que je remplace est à la comptabilité. Ce qui n’est pas une mince affaire, quand on connaît l’importance du Foyer de MURU.

Le foyer est situé sur le bord du lagon, la plage affleure la terrasse, un tané s’occupe de planches à voile, Georges me le présente comme le moniteur de voile et de Wind-surf, il est champion de Polynésie.

Nous passons devant le bar interarmes. C’est une construction semi traditionnelle, les toits en Pandanus, les fenêtres à louves, des barreaux me font penser que, bien que nous soyons sur un atoll essentiellement militaire, il n’en n’existe pas moins des risques de délinquance.

Le bureau du directeur est situé entre le bar et la coopérative. J’occuperai la chambre attenante au bureau. 4 mètres sur 2 et demi, une douche et un frigo. Un lit en fer et une armoire en bois blanc composent, avec une table et deux chaises, l’essentiel du mobilier.

Le commandant de Muru est un marin, la loi de l’alternance est en vigueur sur ce cailloux où se côtoient : aviateurs, biffins, légionnaires, marins et civils du C.E.A.

Georges me laisse entre les mains d’Olivier Ducastel qui va me guider dans mes démarches administratives et me faire découvrir les endroits stratégiques de l’atoll.

Avant d’aller déjeuner, nous passons à la coop. Le PM Berrou en a la charge, avec deux appelés aviateurs. Nous récupérons, au passage, le SC Abiven, un biffin qui fait office d’adjudant de compagnie.

Après un rapide apéro, nous passons à table.
L’intendance est assurée par la marine, ce qui est un bon point. Le déjeuner est excellent et copieux. Olivier me présente quelques gens importants avec qui j’aurais à travailler au quotidien.

De retour au Foyer, je termine la visite des divers clubs, salles de cinéma, studio de télévision, bureau des voyages...

Nous sommes soumis au régime campagne, c’est-à–dire que nous travaillons de 6 heures à 13 heures, les après-midi sont libres.

Olivier me fait visiter tous les coins et recoins du Foyer et me mène à la Légion.
Comme partout, la Légion est une entité à part, elle à sa popotte, ses cuisines, sa boutique. Il me présente aux responsables avec qui nous bossons. Puis nous allons à la popotte. Pierrot, je te présente l’adjudant-chef président des sous-officiers de la légion.
L’AC se retourne. Quelle n’est pas ma surprise en reconnaissant « Halte au feu », il était déjà le président des sous-off à Diégo. Je me fais reconnaître : l’inauguration de la popotte de Tanambo, le Béarnais, les matches de rugby. Le regard perçant, bleu acier, du légionnaire s’illumine à l’évocation de cette période de notre vie commune.

Tu sais qu’il y a Martinez, qui s’occupait de l’équipe de rugby de Diégo, c’est lui qui gère la popotte, ici.
Vous mangez avec nous, ce soir, il y a un méchoui. C’est le genre d’invitation qu’il ne vaut mieux pas refuser. Pas question de dire non à ce genre de demande, et puis, nous pourrons parler de Madagascar.

A 19 heures, nous arrivons à la légion. 4 moutons sont en train de rôtir sur d’immenses broches. Une buvette est dressée à l’écart, elle est destinée aux hommes du rang. Le bar de la popotte étant, quant à lui situé prés des tables où nous allons manger.

Les tournées de Vahine (ndlr : bière produite à Tahiti) succèdent aux rasades de Chivas, l’alcool aidant, l’ambiance se détend peu à peu. Nous passons une bonne soirée, mais il nous faut rentrer, sinon le réveil va être difficile. Le chemin du retour me semble plus long qu’à l’aller et c’est avec un plaisir certain que je m’affale sur mon lit.

A mon réveil, je sors prendre l’air sur la terrasse devant le Foyer, des centaines de crabes courent sur la plage entre les cadavres de bières et de jus de fruits. C’est une véritable poubelle. Chaque matin, les barmen se tapent le ramassage des bouteilles et des détritus avant de s’attaquer au nettoyage du bar.

Quand Georges arrive, je lui dis que je pense avoir une solution au problème des bouteilles vides sur la plage. Il m’écoute puis me dit : ça ne marchera jamais ici, entre la Légion, l’Aviation, les biffins et la Marine, tu ne feras pas ramasser les cadavres, comme ça, de but en blanc ! On ne risque rien d’essayer.

Je fais des affiches disant qu’aucune consommation ne sera délivrée quinze minutes après l’ouverture sans que les bouteilles vides ne soient ramenées.
La première consommation étant délivrée en échange du badge.
Au début, certains ont du mal à se soumettre à la nouvelle règle, et quelques uns font du tapage. Comme je passe fréquemment au bar, les barmen me signalent les récalcitrants. Je leur donne alors le choix entre : se plier au règlement ou être de corvée à la fermeture pour ramasser les derniers cadavres restant sur le sable.
Au bout d’une semaine, le soir, la plage est propre comme un sou neuf.

J’ai en partie réussi mon pari, il reste toujours quelques récalcitrants pour faire la forte tête, mais une certaine forme d’auto discipline se met en place. J’ai obtenu qu’un légionnaire soit détaché au Foyer pour surveiller le bar et la plage. Et de ce fait, il y a de moins en moins de récalcitrants ; les arguments, de poids, avancés par le soldat de surveillance étant très dissuasifs. En quelques semaines, la plage et le lagon sont propres le soir.

Les semaines et les mois passent, les fêtes de fin d’année arrivent. La DIR FEF de Papeete a prévu un spectacle venu de métropole. Illusionnistes, contorsionniste, Les Sales Gosses sont aussi au programme, ainsi qu’une jolie présentatrice. Tout ceci venant compléter les traditionnels chants et danses polynésiens.

Le spectacle a lieu dans le cinéma, ouvert, prés du Foyer Martine. Je suis en charge de l’organisation des soirées, je renoue enfin avec l’animation de grande envergure ; cela va me changer des concours de boules, flippers, cartes et autres lotos visant à écouler les rossignols de la coopérative.

L’accueil des artistes se fait en grandes pompes, tout le gratin du caillou est sur le pied de guerre. Mes retrouvailles avec les Sales Gosses sont émouvantes, visiblement ils sont heureux de trouver un visage familier en ce bout du monde et je suis touché par leur dynamisme et le plaisir qu’ils ont à me revoir.

Georges se charge de l’accueil des personnalités, je lui laisse volontiers cette partie de l’organisation. En ce début d’après-midi du 23 décembre, il pleut sur Muru. Une collation est servie au restaurant du CEA, puis les artistes sont dirigés vers leurs « appartements ». Ils sont logés dans des "Algeco" dans le secteur civil de l’atoll.

En début de soirée, je leur fais visiter les lieux où va se dérouler la soirée. La grande scène est décorée des feuilles de palmiers et d’une multitudes de coquillages, paréos, Tikis.
Les artistes sont invités dans les divers restaurants ; la présentatrice est bien sur retenue par les officiers supérieurs et les pontes du personnel civil du CEA.
Les Sales Gosses, quant à eux, déjeunent au mess sous-officiers. Nous revenons sur tous les spectacles que nous avons faits ensemble à Toulon.

 

Chapitre 14 : LA VOILE ET AUTRES SERVICES DU FOYER

LE CLUB VOILE ET WINDSURF

La flotte du club se compose de dériveurs, planches à voile et pédalos. Le tahitien qui s’en occupe, MAURICE, si mes souvenirs sont bons, tient le club de mains de maître.
Le matériel est superbement entretenu, les locaux sont nickels et les cours de planche qu’il dispense sont très fréquentés.

Le C.E.A. possède, lui aussi, un club de voile et de ski nautique. Nous organisons quelquefois des régates.

Que dire de plus sur un truc qui marche, le climat favorable, du bon matériel et un responsable compétent, le succès est assuré.

 

LA BIMBELOTERIE

Les dimensions de la coop sont impressionnantes, d’énormes étagères sur plusieurs niveaux, sont alignées par types de produits.

Le PM Berrou qui en a la charge, un petit moustachu, brun, sec et toujours en mouvement, dirige sa boutique de mains de premier-maître. Ses deux appelés, des aviateurs bossent bien et sont très à l’aise dans leur rôle de vendeur.
On trouve de tout dans la bimbeloterie : de la lessive, des produits d’hygiène, des bijoux, des montres (toutes plus sophistiquées les unes que les autres), des radios aux dimensions extravagantes, des T-shirts, du linge de corps, des chaussures de toutes sortes, des téléviseurs et même des vélos pliants.

Une anecdote à ce sujet : un légionnaire qui avait du abuser d’un cocktail explosif, "voile de soie-bière", entre dans la boutique et achète un vélo. Le paie et sort. Il l’enfourche, fait quelques tours de roues en zigzagant sur le sable, attaque le lagon et s’y enfonce.
Quelques minutes plus tard, dégoulinant, il entre en criant dans la boutique, avec un fort accent alsacien ou allemand : - il flotte pas ton pédalo ! et il part en laissant son vélo sur la terrasse...

 

Je n’ai jamais vu un stock aussi impressionnant de T-shirts, débardeurs, shorts, casquettes et autres vêtements de loisirs qu’à MURU.

Chaque fin de mois, l’épouvantail « inventaire » pointe son nez. Le soir, à peine la porte fermée, la course contre la montre commence. Tout le personnel du Foyer est sur le pont :barmen, adjudant, coopérateurs, moniteur de voile, directeur et ses adjoints.
On ira se coucher que lorsque l’inventaire sera terminé et que le stock réel collera au stock théorique et aux recettes. J’en ai vu durer toute la nuit ; et recompte les chaussettes, les shorts, les montres… il faut que cela tombe juste, au centime prés.

 

L’AGENCE VOYAGES

C’est le domaine réservé d’Olivier Ducastel, il gère sa boutique tout seul, il faut dire qu’il n’a qu’une billetterie qui lui est adressée par la DIR FEF de Tahiti à gérer.
Réservations d’hôtels, billets d’avion et carnet d’adresses concernant essentiellement les locations de voitures.
Quand Olivier part en permission ; 7 jours toutes les 7 semaines, la billetterie est tenue par son adjoint.

 

Chapitre 15 : LES PERMISSIONS

Pour ceux qui ont connu MURU, cette semaine de permissions toutes les sept semaines est attendue comme le Messie. Retrouver un tant soit peu de civilisation et revoir des femmes, des touristes, un autre genre de vie que celle du cailloux est nécessaire à la vie et à l’équilibre pour supporter cet éloignement et cette vie en vase clos.

Mes semaines de permissions sont assujetties à celles de Georges. Comme il a cumulé des semaines pour faire venir son épouse à Papeete, je pars comme je peux. De plus, tous les mois, il y a une réunion des directeurs de Foyers à Tahiti. D’ordinaire, le directeur jouait l’alternance et un mois sur deux l’un de ses adjoints allait à la réunion, ce qui permettait à tout le monde de souffler un peu entre les permissions.
Georges n’applique pas cette règle, il va à toutes les réunions, Olivier et moi nous nous assoyons sur ces quelques jours de détente.

Ma première semaine de permission, je la prends dix semaines après mon arrivée sur l’atoll. L’adjudant chef Martinez m’a donné les coordonnées d’un de ses amis, ancien légionnaire qui tient l’hôtel Aimeo à Moorea.

« Va le voir de ma part, tu seras reçu comme un prince ! ».

Arrivé à l'escale militaire de Faaa, je franchis les quelques dizaines de mètres et je me rends à l’aéroport civil. Je prends un billet pour Moorea, l’île est située à quelques dizaine de milles de Papeete et il n’y a que quelques minutes de vol pour s’y rendre.

Le petit bi-moteurs se pose en douceur sur la piste. Des dizaines de vahinés en costume traditionnel distribuent des colliers de fleurs aux arrivants, un tané tient une pancarte sur laquelle est mentionné : Hôtel Aimeo.
Je m’approche de lui et me présente, visiblement il m’attendait. Martinez a bien fait les choses.
Deux touristes américains se joignent à nous, nous grimpons dans une jeep Volkswagen jaune sable, le chauffeur commente le paysage qui défile doucement, dans un anglais approximatif. Quelquefois, je prends le relais et traduit de façon un peu plus correcte les paroles du chauffeur. Lorsque nous arrivons à l’hôtel, j’ai sympathisé avec le couple.

Deux employés de l’hôtel se chargent des bagages et nous dirigent vers l’accueil.

Le personnel est nombreux, pas d’uniforme, mais une harmonie dans les couleurs des paréos. Les vahinés arborent une splendide fleur de tiare à l’oreille et porte un soutien-gorge fait de deux demi noix de coco, dans la plus pure tradition de cartes postales.

Le chauffeur me tire à l’écart, il me dit : « Gérald t’attend dans son bureau ! ».

Vous l’aurez compris, Gérald est le copain de Martinez, il m’apparaît comme un baroudeur, cheveux blonds bouclés, un torse puissant bronzé, il n’a plus rien du légionnaire dont m’a parlé son ami. En m’apercevant, son visage arbore un large sourire, ses dents sont blanches et deux canines en or ajoutent à son charme.
- Pierre, tu es bien Pierre ? Marti m’a parlé de toi, il t’aime bien, il m’a dit que tu aurais pu faire un bon légionnaire ! Tu es ici chez toi, viens, on va prendre un Maitai !

Le bar est situé prés du lagon, des clients de l’hôtel nous font de grands signes, Gérald leur répond d’un geste de la main.
- C’est la première fois que tu viens à MOOREA ? Tu verras, l’île n’est pas très grande, mais elle est superbe.
Je vais te donner une chambre qui donne sur le lagon, elle est proche du bar et de l’accueil.

Je l’en remercie, mais lui fait remarquer que mes moyens sont toutefois limités et que je ne veux pas abuser. Sa réaction ne se fait pas attendre.
- Je t’ai dit que tu étais chez toi, tu n’auras rien à payer et je ne veux plus entendre parler d’argent !

On ne répond pas à de tels arguments. Je me garde bien de le remercier et nous sirotons notre cocktail. Ce soir, il y a un Tamara en l’honneur des nouveaux arrivants.

Le Tamara est un repas traditionnel tahitien composé de porc, patates douces, bananes "Fei", cuits dans un four enterré dans le sable corallien. On déguste aussi le "Fafaru", espèce de fromage de poisson faisandé et de poisson cru. Ce repas est accompagné de chants et danses traditionnels. Le lagon est éclairé par des torchères et les rares personnes qui ne sont pas sur la plage ont pris d’assaut le bar.

Gérald a l’œil à tout, il houspille son personnel pour que la soirée se déroule dans les meilleures conditions. J’ai retrouvé mon couple d’américains, visiblement le soleil ou, et le Maitai leur ont donné des couleurs. En m’apercevant, Gérald me décoche un clin d’œil et lève son pouce. Je hoche la tête et lui renvoie son signe. Les plats se succèdent accompagnés de chants et de danses. Les clients sont aux anges, les anciens tentant d’expliquer aux nouveaux la signification d’une telle soirée.

Gérald vient se joindre à nous en fin de soirée, je suis en pleine discussion avec mon couple d’américains et deux autres touristes australiens, notre conversation tourne autour du foot américain et du rugby, chacun défendant son bout de gras à grand renfort d’exemples mettant en cause de grands joueurs de l’un ou l’autre de ces sports.

Mon aisance en anglais semble intéresser notre hôte qui me fait une proposition.
- Je te fournis une voiture, si tu acceptes de faire visiter notre île aux clients de l’hôtel et comme ça, tu paieras ton séjour.
Le deal m’intéresse et je donne mon accord à Gérald.

Dès le lendemain, au petit déjeuner, Gérald vient me donner les clés d’une voiture, il s’agit d’un petit 4X4 Suzuky, plus haut que large et peu stable. Aujourd’hui, tu as quatre anglais pour la journée, le plan du voyage est à l’accueil, départ à 8h45.

Un quart d’heure avant le départ, je suis à l’accueil, l’hôtesse me donne le planning de la journée. Au programme : visite d’une ferme d’élevage de bovins, exploitation d’ananas, temples et cascades. Nous déjeunerons dans un petit restaurant chinois prés de l’exploitation d’ananas. Retour pour 19 h 00 et dans la soirée, nuitée au club de vacances sur le bord du lagon.

A l’heure dite, mes « clients » arrivent, le moins que l’on puisse dire, c’est que leur tenue vestimentaire ne manque pas à la désinvolture anglaise. Les deux filles portent des mini jupes, des soquettes blanches, des chemisiers club et des bobs. Les garçons portent bermudas, bas de sport, tricots de golf et des chapeaux de brousse à faire pâlir de jalousie n’importe quel aventurier.

N’ayant pas eu le temps d’étudier le parcours dans le détail, avant le départ, je pars en pleine improvisation. Le respect du parcours est facilité par le peu de routes desservant l’île, un axe principal en fait le tour et quelques pistes mènent aux sites stratégiques à visiter.

La ferme pédagogique nous surprend agréablement, de splendides vaches rousses paissent dans un vallon herbeux comparable aux alpages. L’exploitation d’ananas étonne mes anglais, ils cherchent désespérément les arbres où poussent les fruits charnus. La surprise est de taille quand ils découvrent qu’ils poussent comme les artichauts.

Le repas chinois est excellent, la plage n’étant jamais loin, nous allons piquer une tête dans le lagon. L’après-midi est déjà bien entamé quand nous arrivons au temple, je tente de leur expliquer au vu de la brochure que m’a fourni le patron du restaurant, en quoi consiste et ce que représente pour les polynésiens ces temples. Je reste suffisamment évasif pour ne pas avancer d’énormités mais tellement persuasif qu’aucune question embarrassante ne vient ternir mon exposé. En redescendant du temple, nous passons devant les deux ou trois cascades déjà vues à l’aller.

Nous sommes de retour à l’hôtel vers six heures et demie, douche rapide et direction le bar. Maitai, repas rapide et direction le village de vacances pour une soirée dansante. Sur la piste, les couples se sont formés et de grands sourires sont sur tous les visages.

Quant à moi, j’ai le mal du pays, mon épouse et mon fils me manquent. Plutôt que de me remonter le moral, cette permission loin de Muru me fout le bourdon.

Heureusement, les journées passent vite et je regagne mon cailloux, sans plaisir mais sans regret. Je renouvelle une fois cette expérience sans plus grand succès. Que ce soit sur l’atoll ou durant les permissions, le temps est long, trop long, petit à petit je me renferme sur moi et je commence à déprimer. Tant et si bien qu’au bout de six mois, je suis tellement dépressif que mon comportement va nécessiter mon rapatriement en métropole.

Au départ de Muru, colliers de coquillages, idem à Faaa, je me retrouve avec un stock impressionnant de ces souvenirs. Au retour, comme à l’aller, nous faisons escale à Los Angeles, pour une paire d’heures. Lorsque nous atterrissons à Mirabelle, aéroport de Montreal, la température est largement en dessous de zéro. Je suis en short et débardeur, l’escale dure plusieurs heures. Je me rue vers les « Free Shops » pour y acheter pull, pantalon et chaussettes.

Après une vingtaine d’heures de vol, au total, nous atterrissons à Paris. Direction la gare de Lyon et Toulon.

 

Chapitre 16 : LE SERVICE RECREATIF DE TOULON

1979

Après une courte période de permission, je suis affecté au service récréatif de Toulon. Ma fonction sera essentiellement celle de préparer le festival de théâtre de Chateauvallon.

Je m’attaque donc à la tache, il y a environ trois semaines avant le début du festival. La troupe de théâtre de l’USAM en constitue l’épine dorsale, il y a peu d’acteurs et seulement deux pièces au répertoire : Le songe d’une nuit d’été de Sheakspeare et un duo qui se déroule en vase clos dans une cabine téléphonique.

Nous sommes prêts à la date prévue et notre participation au festival ne restera pas dans les annales.

Je ne fais pas de vieux os au service récréatif, un beau matin, je suis appelé dans le bureau du directeur du FEF.
- Vieuville, vous allez partir pour quelques mois à Brest, ou plutôt à l’île longue, à la base sous-marine sur la presqu’île de Crozon. Vous continuerez à être géré par la III° région maritime et à la prochaine sortie de cours, votre remplaçant sera désigné et vous reviendrez à Toulon.

Encore une fois, je me retrouve dans la peau de l’homme de la situation, l’homme indispensable, celui qui correspond en tous points aux nécessités et impératifs du poste à pourvoir.
A l’île longue, il faut impérativement quelqu’un qui comprenne la mentalité des sous-mariniers, et qui mieux qu’un ancien sous-marinier peut les comprendre...

Je me retrouve en partance pour Brest, temporairement. Depuis que je suis parti à Querqueville, je suis célibataire géographique, Martine est restée à Toulon car mes affectations étaient provisoires.

 

Chapitre 17 : L'ILE LONGUE, LA BOFOST ET LANDIVISIAU

Août 1979

Je débarque en gare de Brest sous un soleil d’été, personne à la gare pour m’accueillir.

Je gagne la direction des Foyers, proche de la gare, je n’ai aucun souvenir des personnes en poste à ce moment là.

J’ai du faire mes mouvements de façon restreinte, car mon affectation n’est que temporaire, je suis en subsistance. Une voiture m’a conduit à l’arsenal pour y prendre la navette de l’île longue.

La rade de Brest est immense en comparaison de celle de Toulon. La navette pousse de la D.P. (ndlr : direction du port)proche du pont de Recouvrance vers la presqu’île de Crozon. La mer est formée et ça bouge pas mal, après une nuit de train, j’avoue qu’il y a mieux qu’une traversée de rade houleuse.

Nous touchons le quai de la B.S.M. (Base des Sous-Marins), la sécurité est maximum. Gendarmes maritimes, contrôle d’identité, fusiliers marins en armes, maîtres chiens, je suis temporairement parqué au poste de garde, le temps que le directeur du Foyer, Gleyze Bourras, vienne me chercher.

C’est un jeune ASFOY du contingent qui vient me délivrer, nous montons dans la 4L du Foyer et direction la base vie.

Nous franchissons les différents points de contrôle pour déboucher dans la zone vie.

Petits bâtiments, espaces verts, en haut d’une petite colline, le Foyer. La voiture s’immobilise devant la porte. Je prends ma valise et nous entrons dans le Foyer. Tout respire le neuf, le Foyer est d’une propreté irréprochable, nous passons devant la coopérative et arrivons au bureau du directeur. Gleyze Bourras est à son bureau, il fait ses comptes.

«Bonjour, je finis et je suis à vous ! ». L’appelé m’emmène vers le bar pour y prendre un café et le directeur nous rejoint quelques minutes plus tard.

Les présentations sont rapides, visiblement Gleyze est un homme pressé.
- Tu vas faire tes mouvements ce matin, il te conduira dans la base.
Nous avalons notre jus et direction le BSI (ndlr : Bureau du Service Intérieur), le bureau des mouvements, le bureau administratif, enfin la routine. Je rencontre le "Bidel" (ndlr : surnom donné au "capitaine d'arme", officier marinier chargé de la discipline) entre deux portes puis le CSI (ndlr : Chef du Service Intérieur). Les mouvements sont réduits au minimum nécessaire pour que l’on sache que j’existe. Il est déjà 11 h 30, nous allons vers le mess des officiers mariniers, passage obligatoire par le bar puis, déjeuner. Après le repas nous retournons au bar pour y prendre le café. Là, il me semble reconnaître quelques visages. Je me présente à quelques officiers-mariniers et effectivement certains viennent de Toulon.

13 H 30, retour au Foyer, Gleyze me dit que nous avons rendez-vous avec le commissaire dans trente minutes.

Après notre visite chez le "Croc" (ndlr : diminutif pour désigner l'officier chef du service commissariat), je peux enfin m’installer dans ma chambre, je la partage avec un patron SACO (ndlr : fusilier marin), moniteur de sport.

Il est célibataire, nous faisons connaissance et après une petite bière au Foyer il me demande si je connais Crozon Morgat. Je lui réponds que non et il m’invite à une sortie au restaurant. Nous prenons sa voiture, un cabriolet Fiat rouge, en quelques minutes nous sommes au village. C’est l’été et de nombreux touristes déambulent dans le centre. Nous entrons dans une crêperie, l’endroit est sympathique, impersonnel mais sympa.

Nous dégustons quelques galettes, mon collègue est connu comme le loup blanc, en fin de soirée nous sommes une dizaine attablés autour de bouteilles de cidre. L’ambiance est bonne, les gens du cru et ceux de la base font bon ménage. Nous rentrons vers minuit, demain nous commençons la passation de suite et les inventaires. Nous n’avons que trois jours avant que Gleyze Bourras ne quitte son poste.

La bimbeloterie n’est pas très grande et, en dehors du bar, la suite ne va pas prendre beaucoup de temps. En effet, le soir même les inventaires sont terminés, il ne reste plus qu’à faire le bilan. Nous nous y attaquons de suite et vers 23 heures, il est bouclé.

Demain, nous irons le faire signer au commissaire et contre signer à la direction des Foyers. Ces dernières formalités effectuées, signature chez le vaguemestre et je prends mes fonctions le soir même.

Je ne suis là que pour trois mois, je ne vais donc pas refaire le monde et je décide d’assurer la continuité administrative sans lancer de projet d’animation.

L’ambiance sur la base est loin de ressembler à celle de la B.S.M. Toulon. Les sous-mariniers nucléaires n’ont pas les mêmes valeurs que ceux du soutien logistique.

Donc, nous vivons sur la même base, mais pas sur le même bateau. Les équipages bleus et rouges se croisent, les missions se succèdent, mais pour les marins de la base vie, nous ne servons que de faire valoir aux navigants et ils ne se privent pas de nous le faire sentir.

Les trois passent assez vite, et je me préoccupe de connaître ma nouvelle affectation.

Je me verrais bien au Foyer du marin Castigneau, une belle salle de spectacle, un bar suffisamment vaste pour y organiser des soirées cabaret et une ouverture sur le civil non négligeable.

Mon successeur est enfin désigné, il sort du BAT (j’ai oublié son nom). Il prend ses fonctions rapidement et j’attends toujours ma désignation. Ce sera une base sous-marine, mais celle de Brest (BOFOST). Ma déception est grande, d’autant que je serai toujours géré par le CA III.

Je prends la direction du Foyer en me disant que je serai plus prés de la ville et de la patinoire, je vais pouvoir reprendre le hockey sur glace. Je n’ai pas le moral, je ne sais pas pour combien de temps je suis là, une chose est sûre, c’est temporaire. Ce sera pour six mois au maximum, le temps qu’un nouveau cours de BAT se termine. Martine fait grise mine pour ne pas dire la gueule. Le temps passe et je ne vois pas de retour vers Toulon avant six mois.

Je ne m’occupe pas du tout d’animation, je fais le strict nécessaire. Je m’investis dans le rugby et le hockey. Le directeur de la patinoire est un ancien ASFOY et l’entraîneur de l’équipe est canadien, je m’entends bien avec les deux. Je compense mon manque d’intérêt pour mon travail à la base par un énorme investissement dans le sport. Je joue au rugby à la BOFOST, dans l’équipe région, je renforce quelquefois l’une ou l’autre des équipes des sous-marins pour des matches amicaux. Je suis pratiquement à la patinoire tous les soirs, hormis, ces contacts sportifs, je n’ai pas d’ami. La séparation d’avec ma famille me pèse de plus en plus, je descends très rarement à Toulon, le trajet en train est un véritable cauchemard. Les places sur les vols militaires Brest-Hyères sont distribués au compte goutte et généralement réservés aux titulaires d’ordre de mission.

Je commence à broyer du noir et je sens que notre couple est en train de se disloquer.

Ma vie quotidienne se résume à gérer le Foyer sans m’investir dans aucune animation. Je n’aspire qu'à une chose, revenir en III° région maritime, une lueur d’espoir surgit sous la forme des affectations à la sortie des cours. Un nouveau directeur est désigné pour la BOFOST, je vais donc être muté, mais où ?

La réponse ne se fait pas attendre, un message m’informe que je suis désigné, provisoirement, à la BAN Landivisiau, comme adjoint au Directeur.

Je prends donc acte de cette décision avec une certaine amertume. Je pensais en avoir fini avec ces affectations semi disciplinaires, qui, me punissaient personnellement mais aussi ma famille. Après avoir pris rendez-vous avec la direction du FEF Brest, afin d’avoir de plus amples renseignements sur la durée du provisoire, je prévenais le directeur, que si fin juillet 1980, je n’étais pas de retour à Toulon, je mettais ma casquette au clou.

Autrement dit, je rempilerais sous cette condition.

Une dernière anicroche à la BOFOST, concernant le rugby, vint mettre un peu plus de tension. Un SNLE me demande de faire un mach amical contre un bâtiment de surface, comme à l’accoutumée, j’accepte. Sans tenir compte que le lendemain j’avais un match avec l’équipe de la base, en championnat.

Je fais donc mes deux matches. Au retour du second, un barman me dit que le CSI voulait me voir d’urgence, il n’en connaissait pas le motif. Je prends rapidement ma douche et je me rends chez le CSI. Il a une double casquette, CSI et officier des sports.

Le sujet qui fâche est rapidement abordé.
- Vieuville, êtes vous joueur de rugby professionnel, hockeyeur sur glace ou directeur du Foyer ?

Je lui réponds que je suis directeur, joueur de rugby pour l’équipe de la base, accessoirement je viens renforcer un sous-marin lors de matches amicaux, quand au hockey, je le pratique dans un club civil, durant mes loisirs.

En l’occurrence, ce qui m’est reproché, c’est d’avoir privilégié le sport au détriment de ma fonction première de directeur. Je suis donc sur le cahier et je passerai devant le Pacha en second (ndlr : commandant en second) demain matin.

Le lendemain, je me rends à l’appel en tenue de sortie, un sac de sport à la main.

A 9 h 00, je suis devant le bureau du commandant en second (CSD). Le Bidel me fait entrer.

Lecture des motifs de punitions : manque d’assiduité au travail, participe à diverses compétitions sportives pour le compte de la base et de certaines unités sans autorisation de son chef de service, en l’occurrence, le CSI.

Une punition de trente jours dont quinze fermes est demandée et la sanction tombe.

Je demande la permission de sortir ce que j’ai dans mon sac, j’en extrais un short, une paire de chaussettes et un maillot, que je dépose sur le bureau. Le CSD me demande ce que cela signifie, je lui réponds qu’à compter de ce jour, je ne ferai plus de sport dans la marine.

Le mois suivant, se déroulaient les épreuves du BATIVAP, séances de sport obligatoire, visant à évaluer le niveau de condition physique de chaque marin, quel que soit son grade et son âge.

Je ne me présente pas aux épreuves et le lendemain, je suis de nouveau sur la peau de bouc. Là, la sanction est plus importante, trente jours, plus les quinze en sursis. Je viens de me prendre soixante jours de trou avant de quitter la BOFOST, cela va sûrement m’aider dans ma prochaine affectation.

Je passe rapidement sur la descente aux enfers que va représenter mon affectation à Landivisiau. Je suis logé dans une chambre du Foyer, étant célibataire géographique je fais le maximum de jours de service, la BAN est loin de Brest, je ne m’y rends que pour les entraînements et les matches de hockey.

Mon prédécesseur portait ses galons et sa casquette, il allait à l’appel. D’entrée, je m’y refuse. Lorsque je suis convoqué pour la première fois chez le CSI et qu’il me demande pourquoi je me refuse à ces deux mouvements militaires, je lui réponds que je porterai mes galons et ma casquette quand l’Aumônier le fera (ndlr: précédemment, bien qu'ayant un grade, les ASFOY ne portaient pas de galons sur leur tenue d'uniforme) et que j’irais à l’appel quand mon directeur y viendra.

J’ai ainsi végété durant plusieurs semaines, allant de tours de consignes en jours de taule, jusqu’à ce qu’un jour, le Médecin Major m’envoie en détentes morales.

Ayant refusé de me réengager, je termine le temps qu’il me reste entre l’hôpital Sainte-Anne de Toulon et ma famille enfin retrouvée.

Nous sommes en juillet 1980.

 

Chapitre 18 : EN GUISE DE CONCLUSION

De toutes les activités dont j’ai pu m’occuper au cours de mes différentes affectations, je ne dirais pas que le théâtre arrive en première place, néanmoins figure-t-il en bonne position. Au départ, ce sont les sketches, les imitations, les improvisations, que j’ai pu faire seul ou « mal accompagné » qui m’ont apporté de grandes satisfactions.

Il est vrai que les spectacles que nous avons pu monter, aussi bien à la BSM Toulon qu’avec le concours de l’école ASFOY du Dépôt des équipages, n’avaient rien à envier de ce qui se faisait dans le civil : troupe du Splendid, Café de la gare…

Tout au long de ma courte carrière dans la Marine et dans les Foyers, je n’ai jamais renié ce que j’avais pu monter comme spectacle dans le style « cabaret », de mes débuts.

Puis, je suis passé à la vitesse supérieure quand je suis rentré dans les Foyers. J’ai pu, enfin, prendre des cours de théâtre, apprendre le métier d’acteur, de réalisateur, de producteur.

En grande partie grâce à G.R. Deshougues, le stage théâtre au CREPS de Boulouris, avec la participation et la confrontation avec des animateurs civils, m’a permis de voir que ce que nous faisions dans la Marine n’avait rien à envier à ce qui se faisait dans le civil, bien au contraire.

Le défi le plus important que j’ai eu à relever fut de diriger la troupe du CIN Saint-Mandrier, sous la houlette de Madame Verne, et avec le concours d’un ASFOY du contingent qui ne vivait que pour le théâtre.

C’est ainsi que nous avons pu monter plusieurs pièces, dont :
- En attendant Godot ;
- Des souris et des hommes ;
- Du vent dans les branches de Sassafras ;
- Manuel de Falias.

Puis, des pièces plus légères telles que :
- La peur des coups ;
- Les Boulingrins…

Avec ces deux dernières, nous avons eu la chance de nous produire dans la plupart des Foyers de la III° région, dont, en particulier, le Foyer La Magicienne d’Aspretto.

Là, il m’a a fallu déployer une grande logistique :
- obtenir des divers directeurs des cours les autorisations pour que la troupe, une dizaine de personnes, puisse s’absenter du vendredi au lundi inclus ;
- les camions et bus pour le transport des acteurs et du matériel ;
- deux avions Nord 262, assurant la navette entre la BAN Hyères et la BAN Aspretto.
Et tout ceci, sans aucun appui officiel, juste sur ma motivation et pour prouver à tous mes détracteurs qu’il était possible de monter une telle tournée.

Le service animation du CIN gérait et organisait des tournées de spectacles dans toute la région. C’est ainsi que de nombreux groupes ont pu se produire au sein des différentes unités de la III° région maritime, dont :
- Daniel Darden ;
- Les Chasquis ;
- Luis Fontana et son Jazz Band ;
- Les Wapassous.

Pour ces derniers, une mention spéciale puisqu’ils ont été le premier et le seul groupe de hard rock à se produire sur le porte-avions Clémenceau et sur le Foch, et ce bien avant Jonnhy Halliday.

 

Enfin, un dernier témoignage qui résume, à lui seul, ce qu’aura été mon cheminement théâtral au sein de la Marine et des Foyers.

Si j’ai appris les bases du théâtre grâce à G.R. Deshougues, c’est aussi avec lui que j’ai réalisé un phantasme : celui d’interpréter un homme célèbre.

La ville de Saint-Tropez avait demandé à G.R. de monter un spectacle sur la vie de son bailly. Spectacle grandiose, avec des centaines d’acteurs, de tous âges et de toutes provenances.

C’est ainsi que les élèves des écoles de la presqu’île représentaient la mer et la cité du bailly. La troupe du CIN, la période noire de la vie de Suffren, prisonnier des anglais.

J’interprétais le Bailly dans la force de l’âge, révolté, meneur d’hommes et se refusant à accepter sa condition de prisonnier.
Monsieur Fouques, de l’Escolo de la targo, et son imposante stature, le Bailly vieillissant et sur le déclin.

Tout ceci, dans les ruines de la citadelle surplombant le port de Saint-Tropez, à grand renfort de bombardes et de coups de canons et « tout ceci, bénévolement ».

 

FIN